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de mauvais augure. On a signalé le ralentissement des mariages : 300,000 par an avant la guerre et maintenant 270,000 seulement, avec 5,500 divorces. On a dénoncé la proportion croissante des naissances illégitimes : 5 ou 6 pour 100 sous Napoléon Ier, 7 pour 100 au milieu du siècle, plus de 9 pour 100 en dernier lieu. Les mariages ne deviennent pas seulement de moins en moins nombreux ; ils deviennent aussi de moins en moins féconds : près de 40 naissances pour 10 mariages après la grande Révolution, 35 après la révolution de juillet et moins de 30 actuellement. À la suite du recensement de 1886, le service compétent avait, pour la première fois, classé tous les ménages de France (veufs et veuves compris) d’après le nombre de leurs enfans vivans ; eh bien, là encore on se trouve en présence d’une indigence extrême : sur 1,000 ménages, 218 n’ont que deux enfans vivans, 244 n’en ont qu’un et 200 n’en ont pas du tout. Cela ne signifie pas que les unions absolument infructueuses soient dans la proportion d’une sur cinq. Telles maison aujourd’hui sans enfans peut en avoir eu, hélas ! on pourra en avoir[1]. Mais il est indéniable qu’une foule de couples n’assurent même plus, dans l’effectif national, leur propre remplacement, et se résignent, comme les célibataires, à laisser des vides après eux.

Parmi les causes de cette situation, qui devient menaçante pour l’avenir de la France, nous reconnaissons qu’il s’en rencontre d’accidentelles. L’année 1890 a dû bien des deuils supplémentaires à cette perfide épidémie dont médecins et malades avaient commencé par sourire ensemble et qui a fini par creuser tant de tombes. L’influenza, du même coup, a réduit le nombre des naissances. L’Exposition a pu aussi en empêcher plus d’une. Mais une autre considération nous fait craindre que, jusqu’à la fin du siècle, la disette des nouveau-nés n’aille en s’accentuant. Vingt et une années se sont écoulées depuis la guerre. Or, les affreuses misères de 1870 et 1871 avaient eu ce double effet d’aggraver prodigieusement toutes les formes de la mortalité, à commencer par la mortalité infantile, et de restreindre considérablement la natalité[2] Il y a eu ensuite réaction, comme toujours. Mais l’année terrible a fait tort au pays, soit en les empêchant de naître, soit en les faisant mourir par milliers, d’une grande partie des enfans qui devraient actuellement commencer leur majorité. Vingt et un ans ! Pour les garçons, ce serait bientôt, pour les filles, ce serait déjà, dans bien des cas, l’heure du mariage et de la procréation. De là les dépressions qui

  1. D’après M. le docteur Lagneau, la proportion des unions radicalement stériles serait, en France, de 10 à 12 pour 100 (à Paris, 22 pour 100) et d’après le professeur Pajot, le fait serait, une fois sur cinq ou six, imputable au mari.
  2. D’après M. le docteur Lagneau, la proportion des unions radicalement stériles serait, en France, de 10 à 12 pour 100 (à Paris, 22 pour 100) et d’après le professeur Pajot, le fait serait, une fois sur cinq ou six, imputable au mari.