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184 centenaires inscrits, 48 restèrent introuvables et 53 furent convaincus de s’être faits plus vieux qu’ils ne l’étaient. Plusieurs avaient quatre-vingt-dix-neuf ans sonnés ; mais il s’en trouvait aussi qui n’en avaient pas quatre-vingts. En plein Paris, en plein quartier latin, une jeune personne d’humeur folâtre avait simplement quintuplé son âge : le commissaire de police, qui s’était fait un devoir d’aller saluer en personne ce vénérable débris du passé, n’eut pas de peine à obtenir l’aveu écrit d’une espièglerie que l’on avait crue sans conséquence. Dans les 83 cas restans, certaines justifications ont pu être invoquées : cependant quelque scepticisme est encore permis quand on voit que la plupart des communes qui se vantaient de posséder des centenaires se trouvent groupées sur les bords de la Garonne ou de ses affluens. Le doyen des 83 Nestors supposés authentiques était un Espagnol, Joseph Ribas, baptisé à San Esteban de Litera, le 20 août 1770, si l’acte de baptême qu’il exhibait était bien le sien. Ce patriarche vivait encore à Tarbes en 1888, ce qui lui supposait 118 ans : c’est beaucoup. Parmi les femmes reconnues centenaires en 1886, une était depuis 80 ans, une autre depuis 86 ans domestique dans la même famille. Un vieux Corse, né en 1783 et habitant Ferrazo, comptait 95 descendans. Beaucoup étaient sans famille, ayant survécu à tous leurs proches, et plusieurs végétaient dans un dortoir d’hospice. Si les vrais centenaires sont clairsemés, les Fontenelle et les Chevreul sont plus rares encore, et, tout considéré, il n’y a pas à en vouloir à la statistique générale de France d’avoir diminué, par son enquête, les chances déjà bien restreintes qui semblaient offertes à chacun de nous de mettre un siècle entier entre son premier vagissement et son dernier soupir.


III

On vient de voir que tout n’est pas article de foi dans les énonciations de nos recensemens quinquennaux. Les registres des mairies méritent, au contraire, une confiance presque absolue. Sans doute, il peut leur échapper, de loin en loin, une naissance clandestine, un meurtre ou un suicide qui n’a pas laissé de traces. Les officiers qui président au recrutement savent aussi qu’il n’est pas sans exemple qu’un garçon se trouve inscrit comme de sexe féminin, ou réciproquement. Mais, au point de vue de la marche générale des destinées humaines, qu’importent quelques unités de plus ou de moins sur des centaines de mille, sur des millions ? Lors même que l’on divise par la population recensée le nombre annuel des naissances, des mariages et des décès pour calculer ce que les démographes appellent la natalité, la nuptialité, la mortalité, les