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la distillation de l’eau ardente, tirée du vin, et ses rectifications, répétées au besoin sept fois, jusqu’à ce que le produit brûle sans laisser trace d’eau. « On l’appelle, ajoute-t-il, mercure végétal. »

On voit que les alchimistes, au début du xiv° siècle, furent saisis d’une telle admiration par la découverte de l’alcool, qu’ils l’assimilèrent à l’élixir de longue vie et au mercure des philosophes. C’est l’écho de ces souvenirs que Renan reproduit dans son drame philosophique de l’Eau de Jouvence.

Mais il faudrait se garder de prendre tout texte où il est question du mercure des philosophes, ou de l’élixir de longue vie, comme applicable à l’alcool.

L’élixir de longue vie est une imagination de l’ancienne Égypte. Diodore de Sicile le désigne sous le nom de « remède d’immortalité. » L’invention en était attribuée à Isis et l’on en trouve la composition dans les œuvres de Galien. Au moyen âge, les formules en ont beaucoup varié. Cet élixir de longue vie était en même temps réputé susceptible de changer l’argent en or, c’est-à-dire qu’il jouissait des mêmes propriétés chimériques que la pierre philosophale.

Si la découverte de l’alcool ne répond pas à ces illusions, elle n’en a pas moins eu les conséquences les plus graves dans l’histoire du monde. C’est un agent éminemment actif, et par là même à la fois utile et nuisible : il peut soit prolonger la vie humaine, soit en raccourcir le terme, suivant l’usage que l’on en fait. C’est aussi une source de richesse inépuisable pour les individus et pour les États, source plus féconde que ne l’eût été le prétendu élixir des alchimistes : leurs longs et patiens travaux n’ont donc pas été perdus, leur rêve a été réalisé au-delà de leur espérance par les découvertes de la chimie moderne.


M. BERTHELOT.