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réforme scolaire tout inspirée de ses sentimens chrétiens ou piétistes, et il a été réduit à retirer la loi en désavouant ses ministres. S’il échouait encore pour la réforme militaire, s’il était obligé de reculer, que resterait-il de ce mot d’un de ses discours : voluntas regis, suprema lex !

Quand Guillaume II allait tout récemment à Schœnbrunn et à Vienne faire une visite familière à l’empereur François-Joseph, s’il lui a proposé de le suivre, d’avoir, lui aussi, sa réforme militaire, il est douteux que le souverain de l’Autriche se soit montré aussi prompt que son jeune visiteur à tenter l’aventure. Non pas qu’il n’eût le goût de fortifier son armée et qu’il n’ait accepté déjà, pour l’honneur de la triple alliance, des surcroîts de dépenses militaires lourds au budget de l’empire ; mais il est payé pour ne pas se livrer légèrement aux illusions ou au hasard des résolutions téméraires. Il a pour lui l’expérience, une expérience chèrement achetée, et il a bien des intérêts à ménager. L’Autriche n’aime pas ces coups d’éclat dans sa politique. Elle veut bien avoir son rôle dans la ligue où elle est entrée, être une alliée sûre et efficace ; elle ne veut ni trop se compromettre ni aventurer sa position ou son action. Elle tient à rester en équilibre !

C’est le jeu que ne cesse de jouer avec art M. de Kalnoky, s’appuyant sur la triple alliance, maintenant l’intimité de ses rapports avec ses alliés, — avec l’Allemagne bien plus qu’avec l’Italie, — s’occupant peu de l’Ouest, ayant toujours les yeux fixés de préférence sur la Russie, sur l’Orient, sur les Balkans et Constantinople. C’est le jeu que le chancelier autrichien a joué ces jours passés encore devant les délégations austro-hongroises qui viennent de se réunir et auxquelles il a été obligé de donner des explications. Ce qu’il a dit à la délégation autrichienne, il l’a répété à peu près, tout au plus avec quelques variantes, à la délégation hongroise ; une fois de plus il a célébré la triple alliance, son caractère tout défensif et pacifique, son efficacité pour garantir le repos de l’Europe : c’est l’inévitable refrain ! Il a parlé aussi un peu de l’Angleterre, — du nouveau ministère à qui il a fait une sorte d’appel, — de la Bulgarie, qu’il ne cesse de protéger et d’encourager, — d’un récent dialogue diplomatique de la Russie avec la Porte au sujet d’une réception faite à M. Stamboulof à Constantinople : tout cela plein de nuances. C’est évidemment la partie la plus savamment indécise ou évasive des explications de M. de Kalnoky. C’est qu’en effet la position est étrange. M. de Kalnoky craint surtout le retour de la Russie dans les Balkans et ses interventions à Constantinople : il réclame le maintien des traités, et en même temps il fait sa cliente et sa protégée de la Bulgarie ; mais c’est la Russie qui est dans le droit le plus strict en réclamant le respect du traité de Berlin, en prétendant que, si ce traité cesse d’exister à Sofia, il n’existe plus nulle part. L’Autriche, à travers ses contradictions, suit sa voie, sa tradition. La question est de savoir si le jour où elle se sentirait plus vivement engagée, l’Au-