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magne, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Hollande. Il avait été un des explorateurs de ces littératures du nord qu’on a découvertes depuis. C’était son titre, qu’il n’est que juste de lui rendre au moment où il disparaît en galant homme, sans bruit, sans demander de discours, — pas même une statue ! Et après M. Xavier Marmier, c’est cet autre laborieux ouvrier de l’esprit, M. Camille Rousset, qui vient d’être frappé à son tour au milieu de ses savans travaux d’histoire militaire et politique, qui est allé s’éteindre avec la même simplicité, loin de Paris, parmi les siens, à Saint-Gobain, où il a eu les modestes funérailles qu’il désirait, lui aussi, comme tous les cœurs bien faits.

La mort enlève M. Camille Rousset à ces belles études qu’il poursuivait avec un zèle toujours nouveau et un intérêt croissant, qu’il a étendues par degrés du XVIIe siècle au temps présent. Né à Paris, aux beaux jours de la restauration, formé aux sérieuses cultures de l’université, il avait débuté par le professorat. Il eût été toujours, sans doute, un maître habile de la jeunesse, lorsqu’il s’était trouvé introduit aux archives de la guerre et avait eu l’heureuse fortune d’être mis en présence d’inappréciables richesses historiques, d’une immensité de documens précieux, originaux, inconnus, sur la plus belle époque du XVIIe siècle. Il en avait été comme ébloui. Il s’était vu pour ainsi dire vivre dans cette éclatante société de Louis XIV, des Louvois, des Colbert, des Vauban, des Luxembourg, dont il avait les lettres les plus secrètes sous la main, — dans ce monde qui reparaissait à ses yeux avec les couleurs d’une vérité saisissante. De cet amas obscur et encore inexploré, il avait tiré une histoire toute nouvelle du plus grand des ministres de la guerre : cette histoire où il a montré Louvois dans la force de son génie, maniant en maître les ressorts de la puissance française, réorganisant l’administration, les services, les contrôles, réprimant les abus, imposant à la jeune noblesse la discipline et même l’égalité devant les règlemens militaires, c’est l’Histoire de Louvois et de son administration, œuvre de restitution savante qui ressemblait à une révélation. M. Camille Rousset avait trouvé aussi aux archives les élémens de ce livre charmant, le Comte de Gisors, et de quelques autres ouvrages qui faisaient de lui l’historiographe naturel du ministère de la guerre. La politique qui se mêle à tout lui enlevait un jour le titre ou du moins supprimait le traitement, parce que, dans une étude sur les Volontaires de 1792, il avait eu le courage de substituer la réalité à la légende. Il n’avait plus les émolumens, il avait toujours les documens, papiers d’État, correspondances intimes des personnages publics. Il avait tout ce qui donne la vie aux événemens, et c’est avec ces documens interrogés avec le feu d’une intelligence sincère, qu’il s’attachait plus que jamais, sans se décourager, à des œuvres nouvelles d’un intérêt plus contemporain : à cette Guerre de Crimée qu’il a fait revivre dans ses récits, à cette Conquête de l’Algérie, dont