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et des influences malfaisantes, tout ce qui en fait une crise peut-être désormais sans issue et, dans tous les cas, sans profit. Évidemment, par elle-même, la grève n’avait rien d’extraordinaire, rien de particulièrement compliqué, et surtout rien d’insoluble. Elle a même précisément cela de curieux qu’elle ne se rattache à aucun différend sérieux entre la compagnie et ses ouvriers sur les salaires, sur les conditions de travail. Tout se réduit à la médiocre aventure d’un ouvrier que la compagnie a cru devoir congédier, qui n’a pas accepté son congé de bonne humeur, — qui s’est cru autorisé à se servir de son titre de maire de Carmaux dans sa résistance et a réussi à enrôler pour sa cause ses camarades de la mine. La compagnie, ce n’est pas douteux, exerçait un droit qu’elle ne puise pas seulement dans la nature des choses, qu’elle tient d’un règlement sanctionné ou autorisé par un précédent arbitrage, accepté par les ouvriers eux-mêmes, devenu la loi des parties. L’ouvrier disgracié s’est cru ou pouvait se croire à son tour lésé dans ses droits ou dans ses intérêts par une interprétation abusive du règlement. C’est là le fait dans toute sa simplicité. Si on s’en était tenu à la réalité, si on n’avait voulu que sauvegarder les intérêts d’un ouvrier qui, tout maire de Carmaux ou chef de syndicat qu’il soit, n’est pas plus privilégié qu’un autre, il n’y avait aucune difficulté ; la voie légale était ouverte. M. Calvignac, qui reste le héros de cette triste aventure, avait un moyen tout simple d’obtenir justice. Il n’avait qu’à s’adresser à un tribunal, à démontrer que la compagnie avait dépassé son droit, qu’elle avait violé les conditions de son engagement. Il pouvait invoquer une loi toute récente votée justement pour garantir les ouvriers contre les excès de pouvoir du patronat. Il n’y avait pas là de quoi mettre en mouvement trois mille ouvriers et les exposer, eux et leurs familles, aux inévitables misères du chômage. Un jugement suffisait à trancher la question ; mais il est bien clair que ce n’est pas là ce qu’on voulait, qu’on ne tenait pas à un dénoûment si prompt, et comme l’a dit un républicain de la chambre avec une courageuse franchise, « que ce n’était pas du tout l’intérêt de ceux qui ont conduit et dirigé la grève. » S’il y a un fait évident, c’est que le grief personnel d’un homme n’a été qu’un prétexte, qu’on a saisi avec âpreté l’occasion d’enflammer les passions, de faire d’un incident vulgaire une lutte politique, d’ouvrir dans ce coin du midi une campagne révolutionnaire et socialiste contre le capital, contre le patronat, contre ce qu’on appelle la féodalité financière et bourgeoise !

La vérité est que, depuis deux mois et plus, cette malheureuse petite ville de Carmaux a été le foyer d’une agitation qui a commencé par l’assaut livré à la maison d’un directeur des mines et qui n’a fait que se prolonger en s’aggravant, — une sorte de centre révolutionnaire où se sont abattus tous les chefs de secte ou de sédition. Voilà une singulière grève ! Sont-ce les ouvriers qui défendent leurs intérêts ? Pas du tout ;