Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

psychologique s’est changée dans son étude en une démonstration morale.

Au contraire, c’est bien pour elle-même qu’il a posé « la question du droit de l’enfant, » dans la seconde partie de son roman, « Jusqu’à quel point le fait d’avoir donné la vie à un autre être nous engage-t-il envers cet être ? et dans quelle mesure notre personnalité est-elle obligée d’abdiquer son indépendance devant cette existence nouvelle ? » Ce serait même là, si on l’en croyait, le vrai sujet de son livre ; et, nous l’avons dit, ce n’est pas nous qui le lui reprocherons. Quelle raison y aurait-il en effet de s’abstenir de traiter les questions sociales dans un genre de fiction dont on pourrait, en vérité, dire que le propre est d’être une image sociale ? et, s’il y fallait des autorités, l’auteur de Valentine et d’Indiana, celui de Monsieur de Camors et de l’Histoire de Sibylle, celui du Fils naturel et de l’Affaire Clémenceau, ont-ils fait autre chose ? Si je comprends que l’on n’ait pas d’idées, je ne comprends pas que l’on s’en fasse un mérite ; — et bien moins encore que l’on se moque de ceux qui en ont.

Ce n’était pas une tentative médiocrement hardie que d’essayer, à cette occasion, de réhabiliter en quelque sorte la voix du sang, et on ne saurait trop admirer M. Paul Bourget d’y avoir pleinement réussi. L’analyse encore et la psychologie auront fait ce miracle. N’est-ce pas aussi bien ce qui arrive presque toutes les fois que l’on s’en sert, comme d’un instrument plus délicat ou d’une pointe plus subtile, pour anatomiser ce que des esprits qui se croient libres appellent du nom de préjugés ? Non certainement, Francis Nayrac n’aurait pas cru, sans en avoir éprouvé lui-même la mystérieuse puissance, à cette « révélation de son sang, » et comme à cette invasion brusque du sentiment de la paternité, il n’aurait pas cru qu’une vague ressemblance portât pour ainsi dire en soi cette force d’évidence, ni qu’un regard d’enfant pût émouvoir ainsi, jusque dans les profondeurs de son être, des fibres qu’il n’y connaissait pas. Mais ce qu’il aurait encore moins cru sans doute, c’est que son passé continuât de vivre obscurément en lui, et de peser du poids de toutes ses fautes sur un avenir qu’il se flattait d’en avoir allégé. Car tout se tient ou se communique. Selon qu’il est ou qu’il n’est pas le père de cette enfant, toute sa vie d’autrefois en est comme changée d’aspect, de signification mondaine ou de valeur morale ; « l’indépendance de son développement » en est interrompue ; et quoi qu’il puisse faire, et de quelques sophismes qu’il essaie de se payer, ou quelque douteux triomphe qu’il remporte sur son devoir, un nouvel élément est mêlé désormais à sa vie. La voix de son sang a crié, et de ce moment, pour lui-même, Francis Nayrac, il n’est plus, il ne sera jamais plus, ce qu’il était trois mois encore, huit jours, une heure auparavant…

Dirai-je ici qu’il semble que le récit dévie ? et que M. Bourget, s’il