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étant un mieux. À le prendre rigoureusement, comme beaucoup l’ont pris en notre siècle, le dogme du progrès se ramène ainsi à un fatalisme absolu, qui a deux aspects : fatalisme proprement dit, passif, résigné et approbateur, pour le passé : tout ce qui est arrivé est une bonne chose ; — fatalisme actif pour l’avenir : remuons toujours ; ce qui sera sera, et sera bon. Quinet en causant histoire naturelle avec ses auteurs, remarque ou croit remarquer « que la nature ne marche pas d’un pas toujours égal au progrès, par une ligne droite, continue ; que le même genre n’est pas toujours en progrès ; que les générations d’une espèce ne l’emportent pas nécessairement sur les générations des époques analogues dans les temps antérieurs ; » que, « quand la nature a tiré tout ce qu’elle a pu d’un genre, d’une espèce, elle les laisse dans une immutabilité qui ressemble à un déclin… » Il en conclut qu’il doit en être de même dans la marche de l’humanité, qu’il doit y avoir flux et reflux, progrès et retour en arrière, que, si le présent est toujours fils du passé, il peut lui être inférieur comme il peut lui être supérieur, et, s’il n’est pas tenu de l’adorer, n’est pas obligé non plus de le mépriser. Comme conclusion, ceci est douteux ; rien ne prouve, rien n’indique que, parce que la nature ne connaît pas le progrès indéfini, l’homme ne doit pas le connaître. Comme induction, comme analogie, c’est très bon, et très légitime. C’est, sur un point de sociologie, la remarque judicieuse d’un esprit qui a pris de bonnes habitudes dans l’histoire naturelle ; ce n’est pas plus, mais c’est cela ; et le voilà, le profit, non point logique, mais moral, non pas rationnel, mais psychologique, qu’un sociologue tire de la science générale. Il y a appris, on vient de le voir, à substituer, par exemple, la notion d’évolution à celle de progrès. Le progressiste affirme que les choses sont toujours de mieux en mieux ; l’évolutionniste, plus modestement, estime que les choses ne sont pas toujours la même chose. À cette simple substitution, Quinet s’est libéré, en quelque sorte, s’est affranchi ; il s’est débarrassé d’un dogme qui enchaîne l’approbation au fait accompli, qui justifie également les succès du droit et ceux de la force, et qui même, à bien parler, ne justifie que la force, puisque le droit n’a pas besoin d’être justifié.

Voyez encore son ingénieuse application, qu’il n’est pas le premier à avoir faite, mais qu’il a très heureusement exposée, de la division du travail physiologique à la division du travail social. À mesure que le travail physiologique est plus divisé dans un être, l’être est plus parfait, comme on dit, et, disons simplement, est plus propre à l’acte et possède une plus grande sphère d’action. De même, dans la société, si chaque fonction a son organe, si le travail de la vie sociale se distribue rigoureusement entre des agens divers