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révolutions ne s’arrêtent jamais pour avoir obtenu ce qu’elles demandaient. Elles seraient trop courtes. L’élan donné, elles continuent, l’agitation répandue se développe jusqu’à ce qu’elle s’épuise, les partis se forment, se disputent le pouvoir, et s’exterminent jusqu’à ce qu’un l’emporte. D’autres historiens répondent : parce que la révolution a eu à lutter contre le gouvernement, puis contre l’Europe, ce qui n’a pu se faire qu’au milieu de convulsions terribles. Quinet voit une raison plus profonde. La révolution sociale était faite, la féodalité effacée, l’égalité fondée ; mais tout le monde sentait que ce n’était pas là la révolution, qu’elle était ailleurs, qu’il fallait la chercher. La révolution française, ç’a été la recherche fiévreuse de la révolution à faire. Un instinct avertissait qu’il y avait quelque chose à trouver qu’on n’avait point. On ne s’est pas rendu suffisamment compte de ce quelque chose, sauf quelques grands esprits comme Chaumette ; et c’est pour n’avoir pas trouvé qu’on a échoué. Ce quelque chose, c’était la religion nouvelle, cette religion qui eût été l’esprit, le souffle, l’âme des nouvelles institutions et les eût gardées de périr. Il y a eu quelques essais en ce sens, le culte de la Raison, celui de l’Être suprême. Le culte de la Raison était le rêve d’un esprit élevé et pur, de « l’ingénu Chaumette, » mais trop abstrait pour la foule. Le culte de l’Être suprême était le rêve d’un pseudo-catholique, élève du vicaire savoyard, manière d’éclectique en choses religieuses comme son maître[1], esprit faux, sans largeur, sans véritable sens religieux, et qui, du reste, détestait les protestans. Ce qu’il fallait faire alors, c’était une révolution religieuse, et c’est pour cela que l’idée de Chaumette reste la plus grande idée de la révolution française ; mais une révolution analogue à la réforme, dans le même esprit, par les mêmes moyens.

On a poursuivi pendant la révolution française l’idéal de la liberté de conscience, de la liberté des cultes. Voilà qui est bien puéril. Jamais l’histoire n’a procédé ainsi. Ce que les novateurs ont toujours fait, c’est la dictature religieuse d’abord, quitte à la tempérer plus tard, quand l’œuvre nouvelle est accomplie : « Si Luther et Calvin se fussent contentés d’établir la liberté des cultes sans rien ajouter, il n’y aurait jamais eu l’ombre d’une révolution religieuse au XVIe siècle. Qu’ont-ils fait ? Le voici. Après avoir condamné les anciennes institutions religieuses, ils en ont admis d’autres sur lesquelles ils ont bâti des

  1. Autre dogme du vicaire savoyard : « Je regarde toutes les religions particulières comme autant d’institutions salutaires. Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement. » C’est là une des idées qui s’empareront le mieux des esprits et qui, se glissant dans le génie des plus intrépides novateurs, ôteront jusqu’au désir même d’une réforme religieuse.