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hasardeux. — À la vérité, il le veut toujours ; et c’est en cela qu’il est étrange, et guide très dangereux. D’abord, il multiplie trop complaisamment et arbitrairement les concordances entre l’histoire religieuse et l’histoire civile ; il les multiplie et il les crée jusqu’à donner l’apparence d’une espèce de monomanie. Ensuite, la concordance admise, il veut toujours que ce soit le fait religieux qui soit la cause et le fait civil qui soit l’effet, ce qu’il ne sait pas, ni nous, ni personne ; et non jamais que ce soit l’inverse, ce que nous ne savons pas non plus, mais ce qui est possible ; et non jamais que ce soient effets parallèles de profondes causes communes, ayant entre eux rapports de parentage, non rapports d’effet à cause, ce qui est parfaitement possible encore. — On sent qu’il lui est impossible de concevoir même cette dernière hypothèse, ou la précédente. Il est si profondément déiste qu’il ne saurait admettre, non-seulement que le divin soit d’invention humaine, ce qui n’est plus du déisme, mais même que quoi que ce soit qui touche au divin, que quoi que ce soit qui a un caractère religieux, soit chose du même ordre qu’un fait civil. Sitôt qu’une idée a un caractère religieux, elle a tout de suite à ses yeux une prééminence extraordinaire, et il faut que tous les faits civils qui l’entourent ou qui la suivent sortent d’elle. — Le bon sens s’étonne un peu. Il lui semble que l’instinct mystique est un instinct humain, très profond, très universel, éternel probablement, mais enfin que ce n’en est qu’un, que beaucoup de choses humaines doivent avoir d’autres causes que celle-là, que l’histoire est bien loin d’avoir la rigidité qu’elle devrait avoir si elle tenait tout entière dans le développement du sentiment religieux et n’était qu’un prolongement de ce sentiment unique ; que l’histoire est bien souple, au contraire, et bien fuyante et bien complexe ; que l’histoire n’est pas hiératique, et que de tous les qualificatifs c’est celui peut-être qui lui convient le moins. Il semble excessif de considérer la religion, non-seulement comme cause unique dans les choses humaines, mais même comme cause permanente. L’instinct religieux sans doute (et je dis l’instinct religieux parce que ce ne serait peut-être pas vrai de l’instinct mystique proprement dit) est éternel, et je veux bien, comme l’a écrit Fustel de Coulanges, que l’homme soit « porté à se faire une religion de tout ce qui emplit son âme ; » mais en vérité cet instinct religieux, surtout en la forme mystique, est quelquefois très fort et quelquefois très faible. Sans que l’humanité disparaisse, il s’atténue et semble quelquefois disparaître presque. Il est des siècles où il est une cause, et très puissante ; il en est où il n’est qu’un prétexte ; il en est où il n’est qu’un souvenir. Les religions sont des crises, très puissantes, très fécondes, probablement très