Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grandes catégories de ce que l’on appelle le domaine public. Ce domaine est inaliénable et imprescriptible, en considération de ce que, indispensable aux usages de tous, il ne pourrait, sans dommage pour la communauté, être confisqué au profit d’un seul. L’État veille avec un soin jaloux à son intégrité, et des lois de la période républicaine l’arment, pour en déterminer, revendiquer et défendre les limites, de pouvoirs considérables. Pourquoi s’en tient-on là ? Pourquoi, les rives du fleuve une fois tracées, laisse-t-on à qui veut, particuliers et communes, la licence d’en polluer les eaux ? La seule arme législative que possède l’État pour réprimer ce désordre est encore aujourd’hui un arrêté du conseil du roi, pris en 1777, et par lequel « défend Sa Majesté à tous riverains et autres de jeter dans le lit des rivières et canaux, ni sur leurs bords, aucuns immondices, pierres, graviers, bois, pailles ou fumiers, sous peine de 500 livres d’amende, et paiemens des ouvriers employés aux enlèvemens et nettoiemens. » Une loi des 19-22 juillet 1790 a maintenu et confirmé cet arrêté. Le décret du 10 août 1875, réglementant la pêche fluviale, tout en le visant, en affaiblit plutôt qu’il n’en relève l’autorité. En fait, cet arrêté, qui, si on le voulait bien, contiendrait tout ce qui est indispensable, n’a jamais réussi à détourner un seul égout.

Dans une circonstance encore récente, contraint par le droit international et aussi par le sentiment de nos devoirs envers une nation voisine, le gouvernement a dû intervenir pour faire respecter les eaux de la petite rivière de l’Espierre, qui arrivait en territoire belge, chargée des résidus de l’industrie et de la population de Tourcoing. Il s’est heurté à des résistances dont il n’est venu à bout que par une transaction qui a mis à sa charge une lourde part des frais de l’assainissement, d’ailleurs encore incomplet, de la rivière. Il avait cependant prétendu s’appuyer sur l’arrêté de 1777. Il a pu s’apercevoir combien, faute d’usage sans doute, était rouillée et impuissante cette arme surannée, telum imbelle sine ictu. Des armes, il en demande : des commissions officielles ont formulé le vœu qu’il fût interdit aux communes aussi bien qu’aux individus d’altérer la pureté des eaux. Le conseil d’État a préparé sur le régime des eaux un important projet de loi qui, depuis bientôt douze ans, lait patiemment antichambre aux portes des pouvoirs législatifs. Le titre VII en est consacré aux eaux nuisibles. Il contient l’interdiction de jeter dans les cours d’eau des matières encombrantes et des immondices pouvant porter obstacle au libre écoulement des eaux, ou susceptibles de les rendre insalubres et impropres aux usages domestiques ; il n’admet le retour des eaux d’égout aux cours d’eau qu’après justification préalable de leur épuration. Il fournit aux communes le moyen de se procurer, par la voie de