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également, la dérivation, dite de Saint-Ouen, amène, par la pente naturelle, une certaine quantité des eaux du collecteur départemental. Mais c’est peu de chose. Le surplus de ces deux émissaires représente encore moyennement 300,000 mètres cubes en vingt-quatre heures. Il est rejeté dans la Seine. À partir de Clichy, ce courant fangeux se tient longtemps sur la rive droite, et on a pu comparer avec justesse cette moitié du fleuve à un égout à ciel ouvert. Les eaux en sont ternes, noirâtres, et recouvertes d’une couche graisseuse, dont l’écumage est, le croirait-on, l’objet d’une industrie régulière. Que fait-on de cette étrange récolte ? Les exploitans assurent qu’on se borne à la transformer en lubréfiant pour les roues de voiture. Croyons-les, par crainte d’approfondir. Le lit du fleuve s’encombre de bancs d’une vase noirâtre. Le service de la navigation est contraint de la draguer tous les ans, et, faute d’en savoir que faire, on l’emploie au rechargement des berges, en dépit de l’odeur fétide qui s’en exhale. Sous l’action du soleil d’été, une fermentation active fait bouillonner ces eaux corrompues ; des bulles énormes ayant quelquefois plus d’un mètre de diamètre s’élèvent du fond, viennent crever à la surface, répandant dans l’atmosphère ces gaz méphitiques qu’on désigne en chimie sous le nom caractéristique de gaz des marais. La présence de l’oxygène dans une eau est la marque essentielle de sa salubrité. Comme on peut croire, la Seine polluée n’en contient plus. Mais l’azote, qui est, au contraire, un signe d’infection, s’y dose à raison de 25 grammes dans 1 mètre cube, ce qui est énorme. En même temps, les germes microbiens trouvent là les conditions les plus favorables à leur pullulation. On les y compte par centaines de mille. À Saint-Denis, l’apport spécialement infect du collecteur départemental accroît encore la contamination. En aval de ce hideux affluent, le fleuve est, pendant longtemps, tapissé sur ses bords d’un limon gluant, hostile à toute végétation. Le poisson abandonne ces eaux devenues vénéneuses. Reportées sur la rive gauche par le barrage de Bezons, elles font déserter ces rives agréables, autrefois rendez-vous traditionnels de la gaîté dominicale. Cependant, la machine de Marly y puise sans scrupule les eaux, qui, aux monumentales fontaines du parc de Versailles, vont,


Là, s’épancher en nappe, ici monter en gerbes,
Et dans l’air s’enflammant aux feux d’un soleil pur,
Pleuvoir en gouttes d’or, d’émeraude et d’azur.


Les Naïades en gémissent, mais, après tout, leur immortalité les préserve de la contagion. Plus à plaindre sont les 40,000 infortunés mortels, auxquels, d’Argenteuil à Montmorency, la