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industrielle de papeteries et de mégisseries qui a groupé 18,000 habitans sur la limite septentrionale du département, dans une région rattachée au Lyonnais, séparée par la géographie et par les intérêts de la contrée que j’étudie, — le Vivarais proprement dit ne compte pas une ville de 10,000 âmes. Privas, le chef-lieu, en a moins de 8,000 ; quelques centaines de plus à Aubenas, centre du bas pays ; les deux sous-préfectures, Tournon et Largentière, ont l’une 5,000, l’autre 3,000. Villeneuve-de-Berg, l’ancienne capitale, est aujourd’hui morte et délaissée, en dehors des routes commerciales. On rencontre sur les bords du Rhône quelques exploitations de minerai, à La Voulte, au Pouzin ; entre le Teil et Viviers, la roche calcaire est débitée par des fabriques de chaux et de ciment qui ont pris un grand essor. Mais malgré les quelques cheminées d’usines qui pointent entre ses montagnes, l’Ardèche, prise dans son ensemble, peut être considérée comme un département presque exclusivement agricole.

La terre, extrêmement morcelée, y est exploitée par le petit propriétaire. Terre pauvre, frappée depuis un quart de siècle par tous les fléaux. Sur les hauts plateaux, elle est abandonnée aux pâturages, elle porte à peine quelques seigles qui mûrissent en septembre. Suivant l’expression pittoresque d’un de mes interlocuteurs, « il n’y a rien ici, les nuages mangent tout. » Dans la région intermédiaire, le châtaignier est la principale ressource du paysan ; c’est par des prodiges de labeur et de ténacité que le montagnard réussit à fixer la vigne et le blé sur les pentes abruptes ; des terrasses en pierres sèches, étagées jusqu’au sommet, soutiennent d’étroites bandes de terre. Il n’y a guère d’autres champs dans les vallées torrentueuses que j’ai décrites. Leurs habitans traîneront une vie misérable, tant que l’on ne procédera pas au reboisement en grand, d’une façon suivie et méthodique : ce serait le salut du pays, le seul moyen de conjurer des inondations chroniques et de retenir les dernières terres arables, qui fuient entre les mains du cultivateur sur ces roches déclives. Les cultures étendues, vignobles et mûriers, ne commencent que dans les larges vallées méridionales. Développées de bonne heure en Vivarais par les leçons et les exemples de notre illustre compatriote Olivier de Serres, elles firent longtemps la richesse de cette province, appauvrie aujourd’hui par les maladies de la vigne et du ver à soie. Depuis quelques années, les vignobles se reconstituent par l’introduction des cépages américains ; l’industrie de la soie paraît irréparablement atteinte. Grâce aux découvertes de M. Pasteur, — que de lois j’ai eu le plaisir d’entendre bénir ce nom aimé sur les bords de l’Ardèche ! — des grainages garantis par