Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourgeois ne recevra pas un laquais, même une cuisinière, qu’ils ne sachent lire et écrire… La musique est devenue la maladie de la nation… Un nouvel art est né, qu’on ignorait presque avant la guerre, celui de faire valoir son argent sur la place par billets payables au porteur… » Ce dernier trait nous explique en passant la facilité que Law trouvera quelques années plus tard pour l’application de ses plans financiers : il y avait vingt-cinq ans que « la place » y était préparée.

Quelles sont cependant les causes de ce changement des mœurs ? à qui faut-il qu’on les impute ? Aux jésuites, pour avoir énervé la religion, en essayant de l’accommoder au monde, comme les jansénistes les en accusaient ? ou aux jansénistes, comme les jésuites le leur reprochaient, pour avoir rendu Dieu « souverainement haïssable ? » Aux philosophes, comme Bayle ? ou aux femmes du genre de celles que nous venons de citer ? Évidemment, c’est ce que l’on ne saurait dire avec assez de certitude ou seulement de probabilité. Le caractère d’une société tient toujours quelque chose de tous ceux qui la constituent, et personne de nous n’est tout à fait irresponsable des vices de ses contemporains. S’il y a toutefois une responsabilité plus générale que toutes les autres, plus étendue et plus lourde, c’est sans doute celle des maîtres des affaires, la responsabilité de l’Église, par exemple, ou celle de l’État. En me plaçant à ce point de vue, je vais tâcher de préciser ce que, de 1685 à 1710, trois événemens considérables ont fait pour le progrès de l’incrédulité ou de l’immoralité : ce sont la révocation de l’édit de Nantes, l’affaire du quiétisme, et la persécution dirigée contre les jansénistes.


III

Quelque liberté de composition que permette, qu’exige même la nature de ces Études, je n’ai pas sans doute à parler ici de la révocation de l’édit de Nantes en général, de ses causes, de ses conséquences politiques ou économiques, non plus qu’à examiner si quelques historiens n’en auraient pas peut-être exagéré la gravité, tandis que d’autres, au contraire, s’efforçaient, eux, de les atténuer. Aussi bien, il faut l’avouer, les ruines économiques se réparent ; et certainement il est fâcheux que nos protestans aient dû transporter nos industries d’art en Angleterre ou en Prusse, mais deux cents ans ont passé depuis lors, et la France a refait plusieurs fois sa fortune. Il est fâcheux également, beaucoup plus fâcheux même, que la révocation de l’édit de Nantes ait eu pour premier effet politique de coaliser l’Europe entière contre nous, et ainsi de faire aboutir au douloureux traité d’Utrecht un règne glorieusement