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d’une manière différente, mais souvent moins heureuse, — ce que d’autres ont dit avant nous, et bien dit. C’est ensuite que, si l’on saisit sans peine, dans le second de ces deux fragmens, la liaison de l’idée de progrès avec l’idée de développement ou de vulgarisation scientifique, on ne voit pas moins clairement, je crois, dans le premier, l’opposition de l’idée chrétienne avec cette même idée de progrès. Mais c’est surtout que Garat, à ma connaissance, n’ayant rien écrit qu’il ne l’eût entendu dire à quelqu’un, l’opinion qu’il exprime là sur Fontenelle est l’opinion du XVIIIe siècle ; et voilà bien l’inoubliable service dont la génération des Condorcet ou des Suard s’est crue redevable à celui que l’on peut appeler le premier secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences. En la réduisant à ses principes, il a transformé, sans presque avoir l’air d’y toucher, une dispute jusque-là purement littéraire en une discussion de l’ordre philosophique. Avec une netteté toute nouvelle et une décision qu’autorisait sa compétence scientifique, il a formulé cette idée de la Fixité des lois de la nature, que Perrault, dans ses Dialogues, n’avait guère fait qu’indiquer. Et reprenant à son tour la comparaison des hommes de tous les siècles avec un seul homme, il a le premier, si je ne me trompe, affirmé catégoriquement : — que « cet homme-là n’aurait pas de vieillesse ; » — qu’il « serait toujours également capable des choses auxquelles sa jeunesse avait été propre, qu’il le serait de plus en plus des choses qui conviennent à l’âge de virilité ; » — et, pour quitter l’allégorie, que « les hommes ne dégénéreraient jamais, mais que les vues saines de tous les bons esprits qui se succéderaient les uns aux autres s’ajouteraient toujours les unes aux autres. »

Ce n’est pas tout, et il y a plus encore à dire de Fontenelle, qui devait vivre, comme l’on sait, jusqu’en 1757. Mais, avant d’y venir, peut-être pensera-t-on qu’il est bon de savoir quel était alors, aux environs de l’année 1700, l’état général des esprits, et à la faveur de quelles circonstances, aidées de quelle complicité de l’opinion, ces idées allaient faire leur chemin dans le monde. Si j’en ai fait pressentir quelque chose, en parlant récemment de Bayle[1], c’est le moment de compléter ce que l’indication avait d’un peu sommaire. L’histoire des idées, que l’on peut traiter uniquement pour elle-même, en l’isolant de tout ce qui n’est pas elle, n’est pas cependant sans quelques rapports avec l’histoire des mœurs, et, dans ces Études sur le XVIIIe siècle, je m’attacherai surtout à la première, mais je ne voudrais pas tout à fait négliger la seconde.

  1. Voyez dans la Revue du 1er août 1892 : la Critique de Bayle.