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d’une imagination qui sait tout feindre, et d’une religion qui fait tout croire…

Il s’empare de tant de textes, de tant de faits qui n’ont plus besoin ni d’être cherchés, ni d’être vérifiés ; tout son travail est borné à l’action de son esprit lumineux ; et il écrit l’histoire des oracles, c’est-à-dire l’histoire des temples dessinés par le génie du sacerdoce plus encore que par celui de l’architecture, destinés à exercer sur la vue, sur l’ouïe, sur l’odorat, des séductions que la crédulité ne peut ni combattre, ni même soupçonner dans ce qu’elle adore ; l’histoire des prêtres qui étudient les langues, pour les rendre non plus précises, mais plus vagues, non pour éviter les équivoques, mais pour les multiplier, et s’en faire un art savant d’illusions et de mensonges ; l’histoire des peuples enivrés de superstitions sous de tels pontifes, et sans cesse errans autour des sanctuaires pour y chercher le Dieu ou le prêtre, la statue de marbre ou de bronze qui peut le mieux leur révéler leurs destinées futures.


Un autre passage de Garat n’est pas moins caractéristique :


Copernic et Galilée, dit-il, avaient dès longtemps expliqué les mouvemens diurne et annuel de notre globe, et de ceux dont les clartés errent sur nos têtes ; mais quoique cette magnifique découverte ne pût plus être contestée par aucun savant, presque pour tous les esprits, elle était aussi profondément cachée dans les sciences qu’elle l’avait été dans la nature. Ce qui paraissait impossible, surtout, c’était de rendre sensibles à tous des vérités qui commencent par révolter tous les témoignages des sens. Fontenelle ose l’entreprendre. Il cherche et il trouve sous nos yeux, à nos pieds, des faits d’une ressemblance parfaite avec ces phénomènes célestes que des millions de demi-diamètres de la terre séparent d’elle. Genre de traduction nouvelle des faits par les faits, des faits savans par les faits vulgaires ; et, tandis que ces analogies et ces traductions, mieux encore que les télescopes, ouvrent à notre vue l’immensité des cieux, les cieux abaissés, pour ainsi dire, à la voix de Fontenelle, exécutent devant lui leurs mouvemens et leurs lois, comme la pendule de sa cheminée, dont il touche tous les ressorts. Dès ce moment, Fontenelle n’a plus à triompher des sens, il s’en aide. Il n’a plus besoin de démontrer, il montre. Une science hérissée de calculs, transformée en tableaux, enchante l’ignorance qui la comprend, étend à l’infini le champ usé des vérités et des fictions poétiques, et agrandit la création de nouveaux mondes.


Remarquez cette dernière phrase. Si j’ai tenu, d’ailleurs, à reproduire ces deux passages des Mémoires de Garat, c’est d’abord qu’en critique il est sans doute inutile de s’évertuer à redire, —