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pouvoir des échevinages ; sa personne faisait l’unité de la patrie, et ainsi, d’âge en âge, par la pression même des classes populaires, l’autorité du roi monta dans sa majesté souveraine. L’éclat de la gloire conquise par des hommes de guerre, des artistes et des écrivains, ne peut suffire à expliquer le prestige dont rayonna la monarchie de Louis XIV ; la cause profonde en est dans l’énergie du dévoûment et de l’affection qui unissaient les sujets au souverain.

Nous trouvons dans le livre de M. Taine la citation suivante empruntée aux mémoires du maréchal Marmont : — « J’avais pour la personne du roi un sentiment difficile à définir, un sentiment de dévoûment avec un caractère presque religieux. Le mot de roi avait alors une magie et une puissance que rien n’avait altérées. Cet amour devenait une espèce de culte. »

Loin de nous étonner de voir le roi rassembler dans sa main l’autorité administrative, l’autorité législative et l’autorité judiciaire, nous serions porté à dire qu’il ne pouvait en être autrement. Il dirigeait l’État comme un père dirige sa famille ; conséquemment il était la source de la justice : — « La liberté, écrit Saint-Florentin, est un bien si précieux qu’il n’y a que le roi qui puisse en priver ses sujets, ou les juges en observant les formalités prescrites par les ordonnances ; » — c’est-à-dire par le roi. Le marquis de Mirabeau, esprit très en avant de son temps, écrit à son frère le bailli : — « Je vais être arrêté, c’est par ordre du roi, ainsi nous n’avons rien à dire. » — « Je ne doutais nullement, observe Restif de La Bretonne, que le roi ne pût légalement obliger tout homme à me donner sa femme ou sa fille, et tout mon village (Sacy, en Bourgogne) pensait comme moi. »

Que si donc nous jetons les yeux, dans les provinces, sur l’une des seigneuries où les obligations traditionnelles qui incombaient au seigneur étaient conservées, et qui nous présentera, avec une organisation semblable, l’intermédiaire entre la famille et l’État, nous découvrirons d’un coup d’œil le tableau de notre ancienne monarchie patronale.

Il est certain que dans la ville de Paris le spectacle est moins frappant. Par des causes multiples, faciles à démêler, entre autres par la disparition ou au moins par le partage de l’antique maison paternelle, l’organisation de la famille n’a plus la même force ; mais l’âme en est vivante. Jusqu’à la veille de la révolution, les voyageurs étrangers, qui n’ont rien vu de semblable dans leur pays, en parlent, comme Arthur Young, avec admiration.

L’organisation de la seigneurie qui n’existe pas à Paris y est en partie remplacée par un autre groupe social dont il convient de dire encore quelques mots : la paroisse.