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mettrait sa femme en liberté et réciproquement. — « J’ai parlé, écrit un commissaire de police, à la femme du nommé Lécuyer, qui désire faire retirer son mari de Bicêtre ; elle dit qu’elle le trouve dans de très bonnes dispositions ; » — le lieutenant de police veut encore prendre l’avis de l’économe placé à la tête de la prison et en obtient cette réponse : — « Sa femme le vint voir il y a quelque temps, il lui parut conforme à ses intentions. » — Aussi, Philippe Lécuyer fut-il mis en liberté.

D’aucuns, trop sceptiques, ne s’étonneront pas que des hommes, enfermés sur les instances de leurs femmes, aient demandé à rester en prison lorsque celles-ci vinrent les réclamer. Teschereau de Baudry, lieutenant de police, écrit en date du 6 septembre 1722 au ministre de Paris : — « Michel Arny demande de rester à l’hôpital le restant de ses jours, assurant qu’il y sera plus heureux qu’avec sa femme. » — Cet homme d’esprit était savetier de son métier, et comme l’économe de Bicêtre affirmait qu’on pourrait l’employer dans la maison, il fut autorisé à demeurer à l’hôpital où on le fit passer parmi les « bons pauvres. »


IV

Après avoir exprimé leur surprise de voir le gouvernement de l’ancien régime s’occuper des plus minces discussions dans les plus humbles familles du royaume, les quelques écrivains qui ont eu occasion de toucher à l’histoire des lettres de cachet s’étonnent davantage encore de voir les ministres donner tant de soins, prendre tant de peine et se charger de tracas infinis, pour arriver à se prononcer en connaissance de cause, lorsqu’ils sont sollicités de délivrer une lettre de cachet. M. A. Joly en parle ainsi : — « Le ministère montre en tout cela une longanimité singulière. Il n’est si petite affaire ni détail si mesquin qui ne puisse espérer fixer son attention. On ne saurait imaginer à quels puérils détails descend la curiosité du ministre, de quels grotesques commérages les intendans se font les échos. Plaintes de parens irrités, propos de voisins, histoires de petites villes, tout cela est recueilli avec soin, lu et pesé. Et, il n’est pas besoin que la famille tienne une grande place dans le monde. Les débats domestiques du plus modeste bourgeois sont sûrs d’arriver jusqu’à l’oreille du ministre, et de la trouver complaisamment ouverte. Un des dossiers contient toute une volumineuse histoire curieuse à ce titre. Ce sont les démêlés d’un bourgeois avec la famille de sa femme. Tous les incidens de cette burlesque aventure, les querelles d’un gendre étourdi et