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Paris, fait enfermer sa fille pour cause d’inconduite ; elle appuie sa requête en ces termes : — « Sa qualité de mère, — les rédacteurs de ces placets parlent toujours à la troisième personne, — est moins respectée que si elle fuse sa soubrette. » — En 1751, Thomas Bouillette, compagnon menuisier, est écroué à Bicêtre en vertu d’une lettre de cachet sollicitée par sa mère, la veuve Bouillette, tripière. Celle-ci expose que « la famille font profession d’honnêtes gens et a des craintes des suites fâcheuses en fréquentation des libertines. » Le jeune homme était à Bicêtre depuis plusieurs semaines, que la mère adressa au lieutenant de police une nouvelle supplique. Son fils, dit-elle, désirerait s’engager pour la compagnie des Indes ; « mais la famille affligée craint qu’il ne cherche qu’une occasion de s’évader, » et demande « qu’il soit conduit aux Isles avec les déserteurs, enchaîné. » La veuve Bouillette ajoute qu’elle offre de payer entièrement le voyage, « préférant ce sacrifice à la douleur d’être déshonorée par un libertin. » La demande fut aussitôt accordée. Le lecteur ne doit pas penser que ces faits ont été choisis par nous à titre exceptionnel, mais les considérer comme des types dont chacun représente un grand nombre d’affaires semblables.

À peine est-il besoin de dire que les questions de mœurs occupent la plus grande place parmi les motifs dont les solliciteurs appuient leurs placets. Georgette Leloir, femme d’un ouvrier du « faubourg Antoine, » a une fille qui s’est consolée de la mort de son mari, maître Jante, sans procéder aux formalités que prescrivent en pareil cas les règles de l’Église et les lois de l’État. Elle vit avec un archer du guet et « la pauvre mère affligée a vainement essayé de les faire marier ensemble ; » aussi demande-t-elle « que sa fille soit enfermée dans les lieux où sont enfermés les débauchés. » Louise Jante fut incarcérée à la Salpêtrière le 18 janvier 1752. Aussitôt l’archer se déclara disposé à épouser sa maîtresse, et la mère de consentir à la liberté de sa fille, mais sous condition que le mariage serait célébré avant la sortie de la prisonnière, dans la chapelle même de l’Hôpital général. Tout semblait sur le point de s’arranger ; l’on comptait sans le père du futur. Dans une lettre signée « Clément, » celui-ci repoussa l’affront de voir un de ses fils se marier dans une prison, et mit comme condition à son consentement, que le mariage fût célébré dans l’église voisine de Saint-Paul. La mère se montra accommodante, et l’administration alla jusqu’à fournir les témoins. Nous lisons dans le registre des mariages de l’église Saint-Paul, à la date du 15 février 1752 : — « Vu la permission donnée par les vicaires-généraux de Paris, fiancés et mariés le même jour : l’époux a vingt-neuf ans ;