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mauvaise conduite de cette malheureuse. » Nous pourrions multiplier les exemples indéfiniment.

Il faut d’ailleurs suivre le principe dans ses conséquences. Pour qu’un père fasse enfermer l’un de ses enfans, il n’est pas nécessaire que celui-ci ait commis un crime, ni même un délit : ce serait déjà là une tache dont la famille a, non-seulement le droit, mais le devoir de se préserver. Dès lors il n’est pas nécessaire de faits ; il suffit d’une crainte fondée en apparence. La famille de Charles de L’Espinay a recours à l’autorité du roi « pour être mise à l’abri des mauvaises actions que ce jeune homme peut commettre et qui pourroient la déshonorer. » Danchin, commis des bâtimens royaux, demande que son fils soit enfermé à Bicêtre, attendu « qu’il y a lieu de craindre qu’il ne déshonore sa famille. » Claude Bedel est enfermé à l’Hôpital sur la demande qu’en ont faite ses parens « dans la vue de prévenir les suites fâcheuses qu’ils avoient lieu de craindre de sa mauvaise conduite. »

La demande du père est rarement repoussée. — « La seule autorité paternelle, observe un subdélégué, devroit suffire dans de pareilles circonstances, parce qu’on ne peut pas présumer que la piété et l’amitié d’un père puissent être susceptibles d’aucun préjugé. » — Le vicomte Du Chayla sollicitait auprès du comte d’Argenson en faveur d’un ami que menaçait la colère paternelle ; mais le ministre, inflexible, répondait : — « Il est d’usage d’arrêter les enfans dont les pères se plaignent. » — La lettre de cachet délivrée, le père a pouvoir d’en suspendre l’exécution. Jacques Avisse, qui est menuisier et demeure rue Saint-Roch, écrit à Berryer : — « J’avois obtenu, il y a quelques mois, une lettre de cachet contre ma fille ; mais par tendresse paternelle j’empêchai que l’ordre fût exécuté. » — Nous avons déjà cité le dossier d’Euphrosine Armand, fille d’un éventailliste : celui-ci a sollicité une lettre de cachet, et la requête a été renvoyée à l’inspecteur Bazin : — « Je crois, écrit bientôt le père, que le transport dudit Bazin l’a suffisamment intimidée, et que la crainte la fera rentrer dans les bonnes voies ; ce qui m’engage à suspendre l’exécution de l’ordre du roi. » — Peu après, Armand sollicite à nouveau l’incarcération de sa fille, « convaincu, écrit-il, qu’elle est pire que jamais. » — L’ordre est exécuté.

Le père choisit lui-même-la prison. Guillard de Fresnay, demandant une lettre de cachet contre l’un de ses fils, fait dire à Berryer : — « Ou délibérera dans la famille l’endroit où votre autorité le fera conduire. » — Le fils étant en prison, le père n’en conserve pas moins sur lui plein pouvoir. Il trace le régime auquel le prisonnier sera soumis, il peut apporter des adoucissemens à la peine