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de Dantzig, avaient pour la plupart une modeste origine, souffraient plus encore que leurs maris de ces blessures d’amour-propre. La duchesse d’Angoulême ne les appelait que par leur nom patronymique : — « Vous êtes madame Junot ? » dit-elle à la duchesse d’Abrantès. Le cercle féminin de la cour les mettait dans une quarantaine à peine dissimulée. Elles entendaient ces propos : « — Quelle est donc cette dame ? — Je ne connais pas ces femmes-là, c’est une maréchale. » La maréchale Ney était fille de Mme Auguié, cette femme de chambre de Marie-Antoinette qui devint folle en apprenant le supplice de la reine et se suicida. La duchesse d’Angoulême lui témoignait donc beaucoup de sympathie, mais de cette sympathie un peu hautaine et très familière que l’on reporte d’un vieux serviteur sur son enfant. Elle affectait d’oublier en public comme en privé que la petite Auguié était devenue duchesse d’Elchingen et princesse de la Moskowa. Rien n’était plus pénible à la maréchale que de paraître à ces Tuileries où elle avait été reçue naguère avec tant d’honneur et d’où elle ne sortait plus maintenant que la rougeur au front et des larmes dans les yeux. Ney, qui aimait passionnément sa femme, était exaspéré. — « Vous êtes bien heureux, dit-il un jour à La Vallette, de vous être mis à l’écart. Vous n’avez à subir ni insultes ni injustice. » Puis, s’emportant, comme il lui arrivait trop souvent : — « Ces gens-ci ne connaissent rien. Ils ne savent pas ce que c’est que Ney. Faudra-t-il le leur apprendre ! »


VI

Tandis que le mécontentement gagnait un grand nombre d’officiers-généraux, il augmentait parmi les cadres et surtout chez les officiers à la demi-solde. On détestait Soult plus qu’on n’avait jamais détesté Dupont. « Soult s’est vendu aux Bourbons, » était le cri de l’armée. Sans doute, si des influences et des préoccupations extra-militaires ne l’avaient dominé, le duc de Dalmatie eût été un bon ministre. Il s’en faut que tout fût à blâmer dans son administration. Il pressa le rappel des soldats en congé, opération assez mal mise en train par son prédécesseur ; il s’occupa de l’approvisionnement des places fortes, de l’instruction des troupes, qui était fort négligée, de la liquidation de la solde arriérée, d’un plan de concentration. Enfin, il demanda à plusieurs reprises la suppression des compagnies rouges, et, afin d’arrêter les scandaleuses nominations de légionnaires, il obtint du roi une ordonnance réglant les conditions d’admissibilité et d’avancement dans la Légion d’honneur. Mais on était moins reconnaissant à Soult de