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Sur l’injonction de la police, aucun journal ne parla du tumulte de Saint-Roch, mais tout Paris s’en occupa. Tandis que les royalistes ultras criaient au scandale, les neuf dixièmes des Parisiens s’indignaient contre l’intolérance des prêtres, disaient que depuis le retour des Bourbons le clergé s’imaginait pouvoir faire rétrograder la France de deux siècles, et qu’il amènerait ainsi une nouvelle révolution. Pendant plusieurs jours, on cria : A bas les calotins ! au passage des ecclésiastiques. Quelques-uns furent assaillis à coups de boules de neige. D’abord le peuple avait su gré à Louis XVIII de sa conduite dans l’affaire Raucourt ; il y avait même eu des a Vive le roi ! » à Saint-Roch quand le commissaire de police était venu annoncer la célébration du service. On croyait que l’ordre émanait des Tuileries. Cette bonne opinion ne dura pas. Le bruit se répandit que le refus de la cérémonie religieuse avait été concerté par le roi, son grand-aumônier et l’abbé Marduel, et que le monarque n’avait cédé qu’à la crainte d’une émeute. Tout cela était faux[1], mais dans la lutte des passions et des intérêts politiques, il n’y a pas de vérité. C’est ce qui se dit qui est vrai.

Les Parisiens se trouvaient donc assez mal disposés à prendre le deuil le 21 janvier. Ils manifestèrent leurs sentimens par une attitude peu recueillie au passage du cortège. Sur le boulevard des Italiens, un des chevaux s’étant abattu, la foule se prit à rire. — Il n’y avait vraiment pas de quoi ! — Le duc d’Orléans mit alors la tête à la portière de sa voiture ; il fut hué par un groupe de royalistes en souvenir de son père, le régicide Philippe-Égalité. Rue du Faubourg-Saint-Denis, une draperie du char, qui était fort élevé, s’engagea dans un réverbère. On cria : A la lanterne ! Les troupes qui faisaient la haie ne paraissaient pas plus émues. Quelques soldats fredonnaient : Bon voyage, monsieur Dumollet ! À Saint-Denis, l’abbé de Boulogne, évêque de Troyes, prononça l’oraison funèbre. Il avait pris pour texte les paroles de David : Gardez-vous de le tuer, car qui pourra porter la main sur l’oint du Seigneur et être sauvé ? (On voit dans quel esprit d’apaisement était conçu le sermon.) La chaire évangélique retentit d’anathèmes et d’appels à la vengeance, si bien qu’au sortir de l’église, le maréchal Oudinot, qui avait tenu un des cordons du poêle, dit tout haut : « — Il va falloir

  1. La vérité, c’est que le roi, consulté le 16, avait répondu qu’il ne trouvait nullement mauvais que Mlle Raucourt reçût les prières de l’Église, mais « qu’il ne voulait pas donner d’ordres au clergé. » La vérité aussi, c’est que, le 17, le roi ne fut même pas informé de ce qui se passait devant Saint-Roch, et que ce fut le commissaire de police qui, de sa propre autorité, requit le curé de faire célébrer le service. (Jaucourt à Talleyrand, 20 janvier ; Wellington à Castlereagh, 19 janvier.)