Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

meurtriers. MM. de Vergennes, le comte d’Escars, étaient dans le secret, et c’était pour concerter cette tuerie que tous les chefs vendéens s’étaient réunis à Paris au milieu de décembre. On ajoutait même que le projet avait été soumis au roi qui, malgré les ardentes sollicitations des princes et surtout de la duchesse d’Angoulême, particulièrement exaltée, l’avait repoussé avec horreur. Mais on agirait sans lui. Le 7 janvier, la nouvelle que le roi allait passer trois semaines à Trianon, le 8 janvier, l’annonce du départ de presque toute la garnison de Paris, accréditèrent ces rumeurs. On disait que les chefs du complot avaient réussi à éloigner le roi et les troupes afin de rester les maîtres. L’alarme devint grande, principalement parmi les citoyens que leur rôle dans la révolution semblait désigner comme premières victimes. Plusieurs quittèrent Paris, d’autres prirent des dispositions pour se défendre chez eux[1].

Dans le parti royaliste, l’approche du 21 janvier troublait les esprits. Les ultras parlaient de faire venir les régicides à Saint-Denis, nu-pieds et torches en main. Ils s’indignaient que Wellington donnât un bal le 18 janvier et demandaient qu’un deuil public fût imposé quatre jours avant et quatre jours après la cérémonie. Leurs journaux célébraient à l’envi le grand acte d’expiation qui allait s’accomplir et déclamaient contre les régicides. Le Journal royal posa cette question : « Une loi a défendu de rechercher ou d’inquiéter qui que ce soit pour des votes, des opinions ou même des faits relatifs à la révolution. Mais la charte ne parle que de faits et d’opinions et non de crimes. On demande donc si un coupable peut se prévaloir pour éluder le jugement de ses crimes d’une amnistie générale pour des faits. »

On était dans l’attente anxieuse du jour anniversaire, lorsque survint un incident qui exaspéra l’opinion déjà très excitée. Le 15 janvier, Mlle Raucourt mourut presque subitement. Cette tragédienne fameuse avait mené dans sa jeunesse une existence fort peu

  1. Rapports de police, 10-12 décembre, 6-9-10-11-13-19 janvier. (Archives nationales F7, 3200 4 ; F7, 3739 ; F7, 3688 24.) Lettre de Descoutures, citée dans les Mémoires sur Carnot, II, 398-399 ; Barère, Mémoires, III, 205. Cf. Thibaudeau, X, 158. Dossier de Stévenot. (Archives de la guerre.) Mémoire de Blacas. (Archives des affaires étrangères, 615.) Dufey (de l’Yonne), 41-42. Wellington à Castlereagh, 5 décembre. (Dispatches, III). — C’était en raison des nouvelles du congrès de Vienne et pour augmenter les forces aux frontières que Soult avait ordonné le départ de dix régimens. D’ailleurs, sur la réclamation de Maison, qui demanda à conserver des troupes « pour assurer la sécurité de Paris, » l’exécution de cet ordre fut ajourné. (Soult à Maison et Maison à Soult, 8-9-11 janvier. Archives de la guerre.) De même, la nouvelle du départ du roi pour Trianon, donnée par les journaux officieux, fut démentie le surlendemain par les mêmes journaux ; mais l’alarme n’en avait pas moins été portée dans la population.