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les étudians en droit, les officiers à la demi-solde, enfin les paysans des environs, armés de bâtons, de faucilles, de vieux pistolets, et venus, disent-ils, « pour tuer Du Boisguy ! » On crie : « À bas les chouans ! à bas les assassins. Nous avons la tête de Du Boisguy ! » Les anciens volontaires royaux, qui se rendent à la convocation, sont hués, insultés, frappés à coups de poing et à coups de bâton. Le neveu de l’ordonnateur général passe en voiture ; on le prend pour Du Boisguy, on arrête les chevaux. Le malheureux jeune homme est précipité sur le pavé, foulé aux pieds, grièvement blessé ; on va l’achever, lorsqu’il parvient à se faire reconnaître. Un bataillon du 11e léger, rangé devant la préfecture, assiste impassible à ces violences. Ne crie-t-on pas aux soldats qu’on veut leur enlever la solde d’un mois pour la donner aux chouans ? Vainement, le préfet, le général Bigarré, commandant la subdivision, le colonel du 11e léger, tentent de parlementer et disent que les commissaires ne font que remplir les instructions du roi. La foule répond que « c’est outrager le roi de supposer qu’il songe à récompenser des brigands et des assassins, » et les clameurs menaçantes reprennent avec plus de force. Du Boisguy veut que l’on tire sur les émeutiers, mais Bigarré s’y oppose. Il sait que la troupe est travaillée par les mécontens, il craint qu’un ordre rigoureux « ne la provoque à faire cause commune avec le peuple. » Les attroupemens se dispersent seulement vers huit heures du soir, à la nouvelle que Du Boisguy a quitté Rennes. Le commissaire du roi avait réussi à s’échapper furtivement, et il galopait déjà sur la route de Paris, escorté par des dragons[1].


IV

Louis XVIII avait proclamé l’oubli ; il s’était donné comme le père de tous ses sujets, il rêvait une France réconciliée et unie sous son sceptre, et lui et ses ministres semblaient prendre constamment à tâche d’évoquer un passé sanglant, de réveiller les rancunes, de rallumer les colères, de faire deux Frances de la France et de les armer l’une contre l’autre. Était-ce toujours faiblesse pour les

  1. Rapports à Soult de Bigarré, du préfet et du commissaire de police. Rennes, 11 janvier. Colonel de Pontbriand au même, Rennes, 12 janvier. Du Boisguy au même, Paris, 13 janvier. Préfet à Dandré, Rennes, 17 janvier. Colonel Tholosé à Soult, Rennes, 17 janvier. (Archives de la guerre.) — Des poursuites commencées à l’occasion des troubles de Rennes furent abandonnées au mois de février, « afin de ne pas affliger un grand nombre d’honorables familles. » Soult à Dandré, 25 janvier. Dambray à Soult, 25 février. (Archives de la guerre.)