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Louis XVIII prenait sans cesse de telles mesures qu’il s’empressait de retirer à la moindre opposition. Il se déconsidérait par ce jeu de menaces et de reculades, montrant tour à tour sur une même question sa légèreté et sa faiblesse. « Pour mener la France, avait dit Bernadotte au comte d’Artois, il faut une main de fer dans un gant de velours. » Le roi avait une main de velours dans un gant de fer, qui blessait sans maîtriser.

L’opposition de la chambre était d’ailleurs toute constitutionnelle. Comme l’écrivait La Fayette, les libéraux sentaient qu’ils ne pouvaient combattre la monarchie sans l’appui des bonapartistes, et ils repoussaient cette alliance. On défendait la charte contre les empiétemens du pouvoir royal, on- dénonçait à la tribune les actes arbitraires et les tendances rétrogrades du ministère, mais le roi n’était pas mis en cause. Quand ils parlaient de Louis XVIII, les orateurs les plus ardens de la gauche, Durbach, Bedoch, Dumolard, ne manquaient jamais de le nommer : Louis le Désiré, le meilleur des rois, le petit-fils d’Henri IV, le père de ses sujets et même « le père des braves. » La loi qui fixait à vingt-cinq millions la liste civile du roi et à huit millions la dotation des princes de la famille royale fut adoptée à l’unanimité moins quatre voix. Dans Paris, on trouva même que la chambre s’était montrée fort généreuse, avec l’argent des contribuables, en votant ces trente-trois millions. « Napoléon, disait-on, se contentait de vingt-cinq millions, lui qui avait pourtant aussi une nombreuse famille et qui régnait sur un empire quatre fois plus étendu. » C’est également à l’unanimité moins une voix que les députés votèrent une somme de trente millions destinés au paiement des dettes contractées par les Bourbons pendant l’exil. Sans doute, la France ne pouvait avoir un roi insolvable ; mais, comme l’a remarqué Villèle, il aurait été plus habile de comprendre ces trente millions dans le très élastique arriéré de l’empire. De cette façon, on eût évité d’apprendre au pays qu’une partie des centimes additionnels et des droits réunis allait être employée au paiement d’espions, de conspirateurs et d’agens de guerres civiles.

La chambre des députés n’était donc ni hostile ni dangereuse, mais elle était défiante et ferme. En toute circonstance, elle avait affirmé son respect pour la charte, sa haine de l’arbitraire, son esprit libéral. Elle avait appelé l’attention publique sur nombre de pétitions que les ministres eussent préféré voir oublier dans les bureaux ; elle avait réussi à faire rapporter certaines ordonnances ; elle avait résolument manifesté son opposition dans la discussion de la loi sur la censure des journaux et de la loi sur la réorganisation de la cour de cassation. Aux yeux des bons royalistes, les représentans étaient donc des factieux, toujours prêts à faire des