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écrivait Barante à Montlosier, on trouve cela tout naturel ; mais ce qui révolte, c’est qu’un gentilhomme de campagne, qui a 2,000 ou 3,000 francs de rente, ne sait pas l’orthographe et n’est capable de rien, traite du haut en bas un propriétaire, un avocat, un médecin, est offensé qu’on lui demande des impôts et bientôt croira déroger en les payant. » On aimait le roi, on croyait qu’il voulait sincèrement le maintien de la charte, mais on doutait de sa fermeté ; on craignait qu’il ne se laissât à la fin dominer par sa famille et son entourage. Déjà diverses mesures, comme l’ordonnance sur l’observation des dimanches, le rétablissement des processions, la suspension de la liberté de la presse, semblaient des concessions bien promptes à l’esprit réactionnaire. On trouvait aussi que la dix-neuvième année du règne, la reconstitution de la maison militaire, et le banquet de l’Hôtel de Ville, où le préfet de la Seine et les membres du conseil municipal « avaient eu l’honneur » de servir à table, serviette sous le bras, le roi et les princes, rappelaient un peu trop l’ancien régime. On disait couramment dans la conversation : « Si les Bourbons maintiennent la charte ? » La garde nationale parisienne ressentait une profonde irritation d’avoir été relevée des postes intérieurs des Tuileries, et dans des conditions particulièrement offensantes. Un ordre du jour de Dessoles, annonçant en termes flatteurs pour la garde nationale les modifications apportées à son service, aurait paré à tout. On ne s’en avisa point. Un beau matin, les nouveaux gardes du corps vinrent purement et simplement occuper les postes, et, sans laisser même le temps aux miliciens de s’assembler pour prendre les armes, ils ôtèrent les fusils du râtelier et les jetèrent sous les banquettes[1].

Les politiques de profession, libéraux, bonapartistes et anciens révolutionnaires, s’évertuaient naturellement à agiter l’opinion. Comme ils se croyaient les plus menacés, les uns dans leurs principes, les autres dans leur personne, — cinquante-cinq de ces derniers avaient déjà été exclus de la chambre des pairs, — ils attaquaient pour se détendre. Ils censuraient tous les actes du gouvernement, commentaient les articles imprudens des journaux royalistes,

  1. J.-P. Brès à son oncle, Paris, 4 juillet. (Archives des affaires étrangères, 675.) Lettre du général Berge, Paris, 19 juillet. (Archives de la guerre.) Comte, Histoire de la garde nationale de Paris, 421-422. Rapports de police, 21 juillet, 31 août. (Archives nationales F7, 3738.) — Cette grave maladresse est d’autant plus inexplicable que, jusqu’à ce jour (25 juin), le gouvernement avait tout fait pour gagner la garde nationale. Le comte d’Artois avait pris l’uniforme de ce corps le jour de son entrée à Paris ; le roi avait confié à la milice, de préférence à la troupe, le service des Tuileries ; enfin, les gardes nationaux avaient été décorés en masse de l’ordre du Lys avec un ruban spécial, liséré de bleu, et par surcroit nombre d’entre eux avaient reçu la Légion d’honneur.