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industrielles et commerçantes. Elles sont blasées sur cet enthousiasme de commande ; elles sont lasses de ces manifestations qui entravent leur trafic, qui détournent de leur travail commis et ouvriers. Mais il n’en est pas de même dans les États agricoles de l’Ouest, ainsi qu’il appert du rapport du président du comité démocratique de l’Illinois. Il réclame à grands cris des démonstrations publiques avec musique, drapeaux et coups de canon. « Une campagne froide, écrit-il, livrera l’État au parti républicain ; une campagne chauffée à blanc le donnera à Cleveland. Il y a, dans l’Illinois, un appoint nouveau et considérable d’étrangers récemment naturalisés et de jeunes hommes devenus électeurs depuis 1888 ; ils iront du côté qui leur fournira le plus d’occasions de parader, de tirer des salves d’artillerie. Il faut ici de l’élan, du bruit, du bruit surtout. Vous ne sauriez trop le redire au quartier-général du comité central démocratique[1]. »

Plus important encore est le rôle que les orateurs ambulans jouent dans la campagne présidentielle. Eux aussi, eux surtout, appartiennent à l’armée des politiciens. Ils en sont l’état-major secondaire, brillant et bruyant. L’Américain, taciturne d’ordinaire, est passionné pour les joutes oratoires ; il affectionne surtout l’éloquence emphatique et patriotique, déclamatoire et violente, les discours à grands mots et à grandes phrases, mais assez savamment gradués et dont la péroraison retentissante et passionnée constitue un genre particulier qu’il désigne du nom de spread eagle. C’est, en effet, « l’aigle américain, » aux ailes éployées, planant dans l’espace, élevant jusqu’aux nues le renom de la grande république ; c’est l’orgueil national porté à son maximum d’intensité, s’épanchant en périodes sonores et vibrantes. On en sourit après coup, mais l’action n’en est pas moins efficace sur des auditeurs concentrés et silencieux, très accessibles à l’influence de la parole.

Ces orateurs, courtiers électoraux, sont connus et cotés dans leur parti ; selon leurs aptitudes diverses, on les achemine sur telle ou telle localité, on leur résume les argumens à développer, défensifs et agressifs ; on leur trace le cadre de leur discours, presque toujours le même, et qu’ils vont déclamant de ville en ville, de village en village, assistés d’un agent qui note, lui, l’effet produit, qui reprend en sous-œuvre les électeurs ébranlés, qui leur distribue les brochures et les imprimés. Certains de ces orateurs populaires, ceux-là surtout qui opèrent dans les villes secondaires, — car les grandes villes sont réservées aux hommes marquans, aux voix autorisées du parti, — arrivent, par leur faconde,

  1. Voyez Chicago Times du 19 août 1892.