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parvenir à l’excellence de cet art, il faut nécessairement être préparé sur les difficultés de cette pratique par une théorie claire et solide.

« La théorie nous enseigne à travailler sur de bons principes ; et ces principes, au lieu de s’opposer à la nature, doivent servir à la perfectionner par le secours de l’art…

« Quand je dis qu’il faut de la vigueur et de la hardiesse, je ne prétends pas que ce soit cette force violente et cette témérité imprudente dont quelques cavaliers se parent et qui leur fait essuyer de si grands dangers, qui désespèrent un cheval et le tiennent dans un continuel désordre ; j’entends une force liante qui maintienne le cheval dans la crainte et dans la soumission pour les aides[1] et pour les châtimens du cavalier ; qui conserve l’aisance, l’équilibre et la grâce qui doivent être le propre du bel homme de cheval et qui sont d’un grand acheminement à la science.

« La difficulté d’acquérir ces qualités et le temps considérable qu’il faut pour se perfectionner dans cet exercice font dire à plusieurs personnes qui affectent un air de capacité, que le manège ne vaut rien, qu’il use et ruine les chevaux, et qu’il ne sert qu’à leur apprendre à sauter et à danser, ce qui, par conséquent, les rend inutiles pour l’usage ordinaire. Ce faux préjugé est cause qu’une infinité de gens négligent un si noble et si utile exercice, dont tout le but est d’assouplir les chevaux, de les rendre doux et obéissans et de les asseoir sur les hanches, sans quoi un cheval, soit de guerre, soit de chasse ou d’école, ne peut être agréable dans ses mouvemens, ni commode pour le cavalier : ainsi la décision de ceux qui tiennent un pareil langage étant sans fondement, il serait inutile de combattre des opinions qui se détruisent suffisamment d’elles-mêmes. »

Le livre de La Guérinière reste encore aujourd’hui un de ceux qu’on peut consulter avec le plus de fruit. Toute la partie qui traite de l’équitation et du dressage ne le cède en rien, est même supérieure, pour l’époque où elle a été écrite, à nos meilleurs ouvrages modernes, et la fameuse « épaule en dedans, » trop peu comprise de nos jours, est vraiment admirable. Les seules critiques qu’on puisse faire à l’auteur, c’est d’être entré parfois dans trop de détails, d’avoir commis, en parlant du mécanisme des allures, des erreurs qu’il était d’ailleurs bien difficile d’éviter de son temps, d’avoir négligé, particulièrement pour les départs au galop, de préciser l’emploi des aides, enfin d’avoir voulu ajouter

  1. On appelle aides les moyens dont se sert le cavalier pour faire manœuvrer le cheval : les rênes, les jambes, les éperons, la cravache.