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santé des élèves gagne beaucoup à ce genre d’exercice : les tempéramens chétifs se développent sensiblement et les cas de maladie sont plus rares aux forges que partout ailleurs. On se contente d’exiger, sous peine de punition, des jeunes gens sommairement vêtus, qui s’agitent autour des fourneaux et des enclumes, qu’ils prennent en hiver des précautions minutieuses pour éviter de se refroidir à la sortie du travail ou dans d’autres cas sur lesquels il est inutile d’insister. Sans distinction de force ou d’adresse, tous les jeunes gens d’une même division exécutent les mêmes travaux, généralement des commandes pour l’industrie privée[1], concourant ainsi entre eux. La forge n’opère jamais sur modèle. L’enseignement mutuel, proscrit ou toléré tout au plus dans les autres ateliers, est ici en honneur. Du reste, plus les jeunes gens sont occupés et mieux ils opèrent ; et d’ailleurs, on tient compte aux plus faibles de leur bonne volonté. Au début, on cherche à développer surtout l’adresse manuelle du commençant ; puis on exerce son intelligence et, en dernier lieu, on se confie à son esprit d’initiative. Au bout de la troisième année, l’ex-forgeron est en mesure d’exécuter n’importe quel travail concernant son métier. À l’Exposition de 1889, l’atelier des forges de l’École d’Aix a remporté la victoire sur ses deux concurrens de Châlons et d’Angers ; Châlons a pris sa revanche avec la fonderie, Angers avec les tours et modèles.

Dans le quatrième atelier, celui de l’ajustage, formé par une grande halle vitrée, 200 jeunes gens, vêtus d’un bourgeron de toile bleue et d’un pantalon de même étoffe, s’agitent au milieu du bruit des machines et travaillent les métaux à la lime et au tour. L’atelier d’ajustage, à lui seul, comprend les deux tiers environ du personnel écolier et cela pour une double raison : d’abord la plupart des nouveaux ont été forcément dégrossis grâce à l’épreuve manuelle obligatoire de l’entrée et savent un peu opérer sur les pièces de fer ; ensuite les ajusteurs, comme les forgerons, sont seuls admis dans la marine de l’État, et, en général, trouvent aisément à se placer après leur sortie. L’éducation technique des élèves est faite par les sous-chefs dont chacun surveille 50 ou 60 jeunes gens ; à la suite des premiers débuts, on permet aux novices de se perfectionner par les conseils et les exemples de leurs anciens,

  1. Remarquons à ce propos que, le but de l’École n’étant nullement de faire concurrence à l’industrie privée, les Arts et Métiers ne reçoivent, somme toute, que peu de commandes, provenant soit des rires industriels locaux, soit de quelques anciens élèves qui veulent obtenir des pièces difficiles de confection irréprochable. Conformément à l’esprit qui précède à l’institution, l’école doit viser, avant tout, à perfectionner son outillage, qui a été nécessairement fort médiocre pendant les années qui ont suivi la création et aussi à alimenter ses propres collections, de manière à se tenir au courant des progrès de la mécanique appliquée.