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on devait espérer que dans le peuple des villes et des campagnes, le mécontentement tomberait quand la défiance aurait disparu. L’opinion était troublée et hésitante ; il n’était pas impossible de l’amener tout entière à soi. Il y avait individuellement des opposans, mais les partis d’opposition n’existaient pas. Il fallait ne point les laisser se former. Dans le monde de la politique, de la finance, des lettres, du barreau, dans la bourgeoisie, dans l’état-major-général de l’armée, parmi les dignitaires des loges maçonniques, tout le monde, à quelques exceptions près, était pour le roi. Il en était de même chez la plupart des manufacturiers et des commerçans, encore que les uns et les autres redoutassent avec raison une baisse énorme sur leur stock par suite de l’invasion subite des produits étrangers. L’immense foule des indifférens se réjouissait de la paix. Les bonapartistes, qui ne s’en réjouissaient pas moins, se flattaient de conserver sous le nouveau régime, grades, fonctions et traitemens. Ceux des terroristes qui ne s’étaient pas ralliés à Napoléon, ou qu’il avait dédaignés, attendaient de la royauté plus de liberté que de l’empire. Les libéraux voyaient dans la monarchie, tempérée par la charte, la réalisation de leurs vœux.

Les plus glorieux représentans de l’empire, comme Ney, les plus grands patriotes comme Carnot, avaient accepté franchement la royauté. Augereau écrivait dans une proclamation : « Soldats, arborons la couleur vraiment française qui fait disparaître tout emblème de la révolution. » Fontanes disait au roi, au nom de l’Université de France : « Sire, les vertus royales, apanages de votre maison, feront bientôt oublier les temps douloureux qui s’écoulèrent loin de vous. » Fouché intriguait pour être pair de France et ministre de la police : il exhortait Napoléon à refuser la souveraineté de l’île d’Elbe, où il serait toujours un sujet d’inquiétude pour l’Europe, et à aller vivre aux États-Unis en simple citoyen, envoyait copie au comte d’Artois de cette lettre à l’ex-empereur, et écrivait à Blacas : « Il faut que le XIXe siècle porte le nom de Louis XVIII comme le XVIIe a porté celui de Louis XIV. » Rouget de l’Isle composait un hymne royaliste, un parent de Dubois de Crancé demandait à s’appeler Dubois de Fresnoy, et Barère, qui avait interrogé Louis XVI comme président de la Convention, portait la décoration du Lis.

Parmi ces royalistes du lendemain, plusieurs craignaient bien quelque retour offensif de l’ancien régime, mais tous ne demandaient qu’à voir s’accomplir sous le sceptre d’un Bourbon l’alliance de la monarchie et de la liberté. Les journaux, affranchis de la censure, reconnaissaient sans discussion le principe de l’autorité royale. Entre tous les hommes politiques et parmi tous ceux que l’on appelait « les gens de bien, » il y avait accord pour acclamer