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pagne. Qu’arriverait-il, songez-y donc, si M. Carnot allait être réélu ? Ce serait une présidence de quatorze ans, presque un règne. Fatal exemple de stabilité dans un état démocratique ! fâcheuse perspective surtout pour les candidats à la présidence qui ne peuvent attendre si longtemps et sont peut-être les inspirateurs secrets de ces polémiques ! Il faut donc se hâter. Et c’est ainsi que les radicaux se figurent servir la république en occupant leurs loisirs à se débattre dans le vide, à susciter des questions oiseuses, à raviver ces « mesquines querelles » dont parlait l’autre jour M. Carnot, à préparer des crises nouvelles.

Eh bien ! soit, les radicaux ne l’entendent pas comme tout le monde, comme le pays qui répond à leurs polémiques par l’indifférence ou par le cordial et confiant accueil qu’il fait au chef de l’État. Ils ont leur politique qu’ils sentent menacée. Supposez cependant que cette politique, qui a trop souvent réussi à dominer ou à intimider les ministères sans s’imposer absolument jusqu’ici, finisse par l’emporter et puisse se déployer dans tout le luxe de ces prétentions anarchiques : qu’en serait-il ? C’est bien simple. Par leurs vues sur la présidence ou même sur la suppression de la présidence, les radicaux remettraient l’instabilité dans les pouvoirs, faisant violence aux traditions, aux mœurs du pays qui aime à voir à sa tête une magistrature vivante et libérale. Par leur esprit de secte, ils perpétueraient les troubles de consciences, les guerres de croyances, les divisions intestines qui sont un affaiblissement national devant l’étranger. Par leurs idées sur les finances publiques, sur la banque, ils rouvriraient l’ère des crises de crédit. Par leurs connivences ils encourageraient des exaltations, des passions de socialisme révolutionnaire qu’ils ne pourraient plus ni satisfaire ni contenir. Et avec tout cela, avec ces agitations, on reviendrait d’un pas rapide à une de ces situations comme on en a vu déjà, où un simple aventurier habile à rallier tous les mécontentemens, à profiter de l’incohérence morale du pays, menacerait bientôt la république, et, ce qui est plus grave, l’honneur de la France elle-même.

C’est l’intime logique des choses. Le plus sûr moyen de revenir à ces jours de crise serait certainement de raviver les conflits politiques, d’affaiblir tous les pouvoirs, et même encore de laisser se prolonger les confusions désastreuses qui se manifestent dans le monde du travail, entre les revendications légitimes des ouvriers et le mouvement socialiste, qu’on voit s’étendre sous toutes les formes d’illégalités municipales, de congrès ou de grèves. Le danger serait une complicité directe ou indirecte, par encouragement ou par tolérance, avec cette agitation menaçante pour l’ordre régulier des sociétés, pour l’unité française elle-même. Il n’y a sans doute rien à exagérer, rien à précipiter ; les faits ne sont pas moins les faits et finissent par prendre un singulier caractère, A Saint-Ouen, une petite municipalité, qui a déjà trop fait parler d’elle, se prend décidément au sérieux. Elle ne se borne plus à