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Une opinion s’est alors formée, qui a eu pour elle l’appui d’hygiénistes d’une science et d’une conviction incontestables : — « Faites monter, disait-on aux ingénieurs, faites monter l’eau de rivière jusqu’aux derniers étages des maisons comme vous y faites monter l’eau de source : au lieu d’un robinet, chaque abonné en aura deux : l’un pour boire et se laver, l’autre… pour autre chose.

Vous n’y pensez pas, répondaient ceux qui ont charge des eaux. On voit bien que vous n’êtes pas du service. Vos cuisinières, — et l’objection est reproduite dans maint document officiel, — vos cuisinières sont-elles donc des hygiénistes ? Vont-elles apprécier l’importance qu’il y a à ne pas confondre l’eau suspecte avec l’eau saine ? une erreur de robinet est bien vite commise ; et voilà la contagion dans votre demeure !

Puis, dans un ordre plus technique, on objectait que l’eau de Seine, destinée en principe à l’usage exclusif de la rue et du rez-de-chaussée, n’avait pas la pression nécessaire pour monter aux étages. C’est exact, quand les choses se passent régulièrement, comme c’est le cas, il faut le dire, pendant la plus grande partie de l’année. Nous avons vu cependant que, grâce à la superposition des zones de distribution, on parvenait à substituer à l’eau de source du service bas, l’eau de rivière du service moyen. Mais, précisément, c’est une substitution. L’une chasse l’autre. Pour qu’elles puissent monter simultanément dans les maisons, il faudrait, dans chaque zone, une canalisation spéciale contenant de l’eau de Seine à une pression plus élevée que celle du service public parallèle. Ce serait une troisième canalisation, — difficile à loger dans les égouts actuels, sans les agrandir, — et à laquelle devraient correspondre dans chaque immeuble de nouvelles colonnes ascendantes et une seconde distribution, parallèle à celle déjà existante. Bref, une très grosse dépense. Ceux qui s’y entendent l’estiment à 100 millions de francs au bas mot, dont 30 à la charge de la ville et 70 qui devraient être supportés par les propriétaires. C’est là, je crois bien, beaucoup plus que le manque de perspicacité des cuisinières, la grosse et très valable raison à opposer à ce projet d’une troisième canalisation.

100 millions ! et pourquoi ? Pour faire monter dans nos demeures une eau devenue tout au moins suspecte. En coûterait-il beaucoup plus pour se procurer en eau de bonne qualité l’appoint qui nous fait défaut ? Et les ingénieurs ont aussitôt répondu qu’il en coûterait même sensiblement moins. Un projet était là, tout prêt, tout étudié. Le devis, passé au crible d’un multiple examen hiérarchique, ne dépassait pas 65 millions de francs. — Et on pouvait, aux ressources actuelles, ajouter, au moins, disait-on, 250,000 mè-