Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 113.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heureusement, cette vile multitude, à laquelle s’applique si bien la méprisante apostrophe que le lion adressait au moucheron, est soumise à de nombreuses et puissantes causes de destruction, qui entravent singulièrement sa fantastique progression. Le struggle for life semble être aussi la triste loi de ce monde inférieur, et autant que l’on peut, on y vit aux dépens d’autrui. L’espèce y combat l’espèce, et, au sein d’une même espèce, l’individu est pour l’individu un ennemi. Puis ils ont leurs fléaux, eux aussi, leurs épidémies. La moindre influence extérieure en fait périr des millions en un instant. Une goutte de sublimé, quelques bulles d’oxygène, un peu de chaleur et toute une forêt de ces mouvantes végétations disparait à jamais. Leur fragilité nous sauve de leur envahissement. Mais, quelque limitée qu’elle soit par tant d’accidens, leur propagation est singulièrement rapide encore. Ils sont partout. Les liquides de l’organisme, les tissus les plus délicats en sont remplis. Ils sont sur tous les objets ; il n’est lame si brillante qui n’en soit couverte, et le chirurgien prudent, qui, avant l’opération, flambe son bistouri, en détruit des milliers. Ils sont dans le sol ; ils peuplent l’air, ils fourmillent dans les eaux. Nul lieu, nul élément, nul être n’en est exempt. La pure atmosphère des hauteurs de Montsouris en contient 242 par mètre cube ; et il y en a 9,780 dans l’air que respirent les conseillers municipaux à l’Hôtel de Ville. Il n’est eau si limpide qui n’en contienne. Mais toute pollution leur est favorable : les 300 qui vivent à l’aise dans un centimètre cube d’eau de la Seine à Choisy deviennent 244,000 à l’aval du grand collecteur de Clichy. Il y en a 65 aux sources de la Vanne. Ils sont plus de 1,000 dans le réservoir de Montsouris et 3,600 dans la canalisation ; peut-être, en montant les étages, trouvent-ils encore le temps de multiplier plusieurs fois leur nombre. Comme un seul, remarquons-le, de ceux que la science qualifie du lugubre nom de pathogène, suffit à transporter la contagion, on court donc toujours des risques, et tout ce qu’on peut dire, c’est que ces risques devant être probablement proportionnels au nombre, il faut, de ces inquiétans corpuscules, absorber le moins qu’on peut. L’analyse bactériologique, ce comptage ingénieux des invisibles habitans d’une goutte d’eau, est alors là pour nous fournir d’utiles indications. Est-elle toujours bien sûre de ses résultats ? N’y a-t-il pas quelquefois erreur dans ce minutieux pointage ? Quand, au conseil municipal, l’ancien directeur des travaux voulait calmer les inquiétudes éveillées par la substitution de l’eau de Seine à l’eau de source dans quelques portions des conduites, vite il produisait une analyse toute fraîche éclose : 18,000 microbes dans l’eau de la Dhuis, à Ménilmontant, et seulement 4,400 dans la conduite incriminée. Ce qui faisait dire avec un certain bon sens, semble-t-il, à