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« Ce sont des messieurs qui viennent de chez l’autre, lui dit le maître de poste ; si vous êtes si pressé de partir, ils pourraient vous donner une place dans leur chaise jusqu’aux Échelles. » Hyde de Neuville s’égaya longtemps de cette idée, faire voyager côte à côte la police du roi et celle de l’empereur.

Le malheur avait couru derrière lui. Napoléon débarque au golfe Jouan, Louis XVIII quitte les Tuileries. Le baron Hyde déplore le départ du roi ; avec son expérience des temps troublés, il comprend que la Restauration pourra recommencer, mais qu’elle restera mortellement frappée par le souvenir de cette fuite. Cependant le bon serviteur se remet à la besogne ; peut-il maudire bien fort ces événemens ? Ils lui permettent de dérouiller ses facultés de conspirateur ! Il reprend ses anciens plans, la formation de corps volontaires qui donneront la main aux gens de la Vendée, à l’armée de Bordeaux. Le voilà parcourant les auberges de la banlieue, à la recherche des officiers royalistes qui se dissimulent. En devine-t-il un ? D’un beau geste à la Talma, il écarte les pans de son manteau, et laisse voir sur sa poitrine la croix de Saint-Louis, seul signe de reconnaissance. Il court chercher des brevets à Gand, puis en Angleterre, où Mme la duchesse d’Angoulême lui délivre une commission pour les provinces de l’Ouest. Il revient conférer avec Vitrolles dans Paris, chez le fidèle Caron ; la petite parfumeuse cache sous des flacons d’essences les papiers compromettans dont il a les poches bourrées. « Ces pourparlers et ces détours étaient des jeux d’enfans pour un conspirateur tel que moi, » écrit-il avec fierté. — Le canon de Waterloo rendit ses services inutiles. Louis XVIII rentra aux Tuileries ; les Mémoires constatent la tristesse et l’incertitude de l’opinion. « Que cette entrée à Paris ressemblait peu à la première ! Cette fois une douleur secrète pesait sur les cœurs. On sentait que la paix que Louis XVIII apportait à la France ne pouvait effacer la honte de ses revers. Mornes, abattus, peu confians en l’avenir, nous entourions nos princes… Le tableau était sinistre, car il avait pour cadre ces hordes d’étrangers qui bivouaquaient sur nos quais et sur nos places publiques. »

Envoyé à la chambre introuvable par le collège de Cosne, Hyde de Neuville s’y montra ce qu’il était partout : bon royaliste, mais entier, indépendant, souvent fâcheux pour les ministres ; un de ces excellens serviteurs que le pouvoir écarte avec soulagement. Napoléon l’avait exilé en Amérique sans y mettre de formes ; Louis XVIII mit au même exil ces formes gracieuses qui s’appellent une mission diplomatique. Nommé à la légation des États-Unis, d’où il passa à l’ambassade du Brésil, le proscrit de la veille