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lire leurs dépositions devant la commission d’enquête : — « J’ai honte d’avouer, disait l’une d’elles, quelle est ma nourriture habituelle. Souvent je jeûne. Les autres jours, je prends une tasse de thé et un peu de poisson. Je ne mange pas de la viande une fois en six mois. » — « Je mange principalement du lard, disait une autre ; de temps à autre, j’attrape un morceau de beurre ! » — Une jeune fille de quinze ans, dont la nourriture se composait exclusivement de pain et de pommes de terre, se plaignait de ne jamais manger à sa faim, et un inspecteur de fabriques disait que, dans son district, il s’en fallait de peu que les femmes ne mourussent d’inanition !

Le cœur se serre quand on lit de pareilles choses. Je ne sais pas cependant s’il n’y a pas quelque chose de plus triste encore, c’est l’embarras où s’est trouvée la commission, lorsqu’il lui a fallu conclure. Je laisse de côté les difficultés qu’elle a éprouvées lorsqu’il s’est agi soit de déterminer en quoi consistait, à proprement parler, le sweating system, chacun en ayant donné une définition différente, soit d’en déterminer les causes. En effet, si le système des sous-contrats y était bien pour quelque chose, il a été démontré cependant que le sweating system (qui du reste n’était pas un système) existait dans les industries où les petits patrons recevaient directement la commande des grands magasins. Si la concurrence de la main-d’œuvre étrangère, en particulier des Russes et des Allemands, exerçait son influence, il fallait reconnaître également que dans certaines villes industrielles où il n’existait pas d’ouvriers étrangers, les salaires n’étaient pas plus élevés, ni les heures de travail moins excessives. Quant aux juifs, il a fallu décidément les mettre hors de cause. L’enquête a démontré en effet que, comme sweaters, certains chrétiens les valaient bien et que, comme ouvriers, s’ils étaient moins misérables, c’est qu’ils étaient plus tempérans. On ne pouvait cependant pas de par la loi les forcer à s’enivrer. Mais l’embarras que la commission a éprouvé à déterminer les causes du sweating system n’est rien auprès de celui avec lequel elle s’est trouvée aux prises, lorsqu’il lui a fallu indiquer les remèdes. Sans doute, elle a pu demander l’extension de certaines clauses du Factory and workshop act et l’augmentation du nombre des inspecteurs, insister sur l’exécution de certaines mesures d’hygiène, et demander même que dans l’industrie des chaînes et anneaux, l’emploi d’un instrument appelé oliver fût interdit aux femmes. Mais, lorsqu’il s’est agi d’indiquer un remède aux deux principales causes des souffrances dont elle avait constaté la cruelle réalité : la durée excessive des heures de travail et l’insuffisance des salaires, elle a reculé. Dans ses conclusions et recommandations aux pouvoirs