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n’est réellement pas la peine d’être Uzbeg pour se reconnaître sur une route si bien jalonnée.

Ces dunes de sable jaune, aux pentes douces du côté où souffle le vent, abruptes de l’autre, ont l’aspect d’une mer solidifiée. Aucune végétation, seulement quelques saxaouls ou quelques maigres arbustes dans les bas-fonds entre les dunes. Rien dans les tons du paysage immense qui vienne distraire l’esprit. Autour de vous, aucun bruit et ce calme du paysage désolé, cette tranquillité profonde, le mouvement régulier du pas du cheval, tout cela vous berce, vous calme la pensée. C’est une sensation étrange de paix, de tranquillité, de repos. Tantôt on marche entre deux hautes murailles de sable dans un air chaud et sec ; tantôt la dune est basse et, du bas-fond que vous suivez, vous dominez la steppe, le grand panorama de sables jaunes et, à l’horizon vide, quelques tourbillons de sables se dessinent comme une fumée légère s’élevant de quelque demeure invisible ; quelques pans de vieilles citadelles montrent leur masse grisâtre. Mais il est dans la steppe des jours terribles, c’est quand le vent, soulevant le sable mobile, fait un brouillard de sable, brouillard épais qui empêche le voyageur de distinguer la route. Heureusement la traversée du désert se fit par un beau temps. Bientôt le sable diminue de hauteur, des plaques d’argile reparaissent et c’est auprès d’une dune de sable plongeant son pied dans l’eau claire que se fit la halte du midi[1].

Encore quelques dizaines de verstes à parcourir avant l’étape du soir. On pique droit sur les monts Cheik-Khodjéili. Le sable devient de plus en plus rare, et d’immenses surfaces couvertes de ruines informes, de pans de murs en briques sèches, se succèdent presque sans interruption. L’indigène n’a gardé que le nom de ces ruines. Aucun n’a pu m’indiquer la date de leur création, ni donner aucune légende s’y rattachant. Nous rencontrons sur la route des tentes de Turkmènes faisant paître leurs troupeaux. Les ruines augmentent d’importance. Et dans un coin de cette plaine sur un des premiers contreforts des monts, est fièrement campé le château rouge, château de la légende et but de l’excursion. Le spectacle en vaut la peine. Un grand massif carré de maçonnerie en briques crues flanqué de tours aux angles et au milieu des murs. Dans une de ces tours du milieu, mais tout à fait en haut, la porte d’entrée,

  1. L’eau n’est pas à une grande profondeur. Au moindre affaissement du sol, on voit tout de suite la verdure du tamaris apparaître.