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Les progrès réalisés dans l’art des constructions et la production des métaux ont permis de donner plus de consistance au projet de pont, qui vient aujourd’hui faire concurrence au tunnel. De plus, les noms de MM. Hersent et Schneider, qui s’en sont faits les promoteurs, rappellent toute une série d’admirables travaux exécutés depuis une trentaine d’années et constituent une présomption favorable à une œuvre, qu’il n’y a pas longtemps encore on eût, à bon droit, considérée comme impossible à réaliser.

Le pont partirait donc de la côte française aux abords du cap Gris-Nez et atteindrait la côte anglaise près de Folkstone. En plan, il présente deux courbes dont les sommets coïncident avec les hauts-fonds du Varne et du Golbart, sur lesquels, dans une pensée fort sage d’économie, on a voulu placer quelques points d’appui. Sur le Varne, en effet, la hauteur d’eau à marée basse n’est que de 6m,50. C’est un véritable écueil de près de 800 mètres de large. Un phare flottant le signale aujourd’hui aux navigateurs. Sur le Golbart, la profondeur, dans les mêmes circonstances, est de 15 mètres. Entre les deux, on trouve 35 mètres. Du Varne à la côte anglaise, les profondeurs sont de 24 mètres à peu près. C’est seulement entre le Colbart et la côte française que la sonde accuse 50 et quelquefois 55 mètres. C’est aussi, il est vrai, la partie la plus large du détroit. Elle en occupe près de la moitié.

Dans les grandes profondeurs spécialement fréquentées par la navigation, il fallait rendre aussi rares que possible les piles du pont futur, obstacles quoi qu’on dise et dangers pour les navires en marche. On a résolu d’y faire alterner des écartemens de 300 et de 500 mètres. Sur les bancs et au voisinage des côtes, les piles sont plus rapprochées. Leur distance de l’une à l’autre varie de 250 à 100 mètres. Les piles de nos ponts de rivière font modeste figure à côté de celles-ci. Pour les rendre capables de supporter la lourde charge qu’on leur destine, il a fallu de chacune d’elles faire un bloc gigantesque, composé de matériaux choisis et soigneusement cimentés ; les dimensions reportent la pensée vers les monumens de l’ancienne Égypte. Heureusement, le sol, après de nouvelles explorations, a été reconnu partout d’une soUdité suffisante pour ne pas s’écraser sous le poids de ces énormes masses.

On se propose de les construire dans de vastes caissons en tôle qu’on viendrait ensuite échouer à leur place définitive. À la partie inférieure de ces caissons est ménagé un vide, qu’on remplira en dernier heu. Cette sorte de chambre, d’où l’air comprimé chassera momentanément l’eau, sera rendue accessible aux travailleurs chargés de préparer les assises de la lourde fondation. Au moins se propose-t-on d’user de ce procédé jusque dans les profondeurs de 35 mètres. Au-delà, il faudrait aviser à des moyens spéciaux