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expansion généreuse d’une ardeur longtemps contenue, un désir d’embrasser l’univers d’une seule étreinte. Quelqu’un lui dit : « Vous, vous êtes jeune comme Eve, quand l’aube de la nature mettait son reflet sur son visage : » expression poétique et charmante d’un sentiment vrai. Très femme par l’acuité de ses souffrances, elle ne l’est pas moins, — maintenant que l’avenir lui rit, — par l’intensité de sa joie. Espérance et tristesse, doute et épanouissement des premières croyances, tout cela est exprimé avec une parfaite franchise. Où donc trouver, dans toute notre littérature psychologique, un autre exemple de cette chose unique : — une jeune fille contant elle-même ses impressions d’adolescence et l’éveil glorieux de son âme à la vie ?

Deux rêves surtout poursuivent Aurora : l’un, c’est d’être une grande artiste, un grand poète ; l’autre, — qui ne l’a deviné déjà ? — c’est d’être aimée.

Elle a une foi touchante en la poésie : elle croit fermement à l’Art, de la foi de ceux qui ont au front un signe d’élection. Vivre de la vie de l’artiste, c’est vivre deux fois : « Poésie, cela signifie vie dans la vie. » Puis, l’art est bienfaisant, et Aurora a un grand désir d’être utile et bonne. Disons mieux : l’art est le bienfait suprême, et quelle meilleure occasion pour elle de répandre sur le monde cette charité qui déborde, et d’être utile, d’une utilité rare et supérieure, et de se sentir un rouage, — si petit soit-il, — de la machine universelle ? Non, non, rien ne vaut la bienfaisance de l’art. « Les poètes deviennent poètes en ne méprisant rien, » et, mieux encore, en aimant toutes choses. De plus, l’art, c’est la gloire, et elle est comme ivre de renommée. On pense, en la lisant, à ces artistes italiens de la Renaissance, qui, après les longs travaux anonymes du moyen âge, venaient de retrouver tout à coup le vin capiteux de la célébrité. Être celle qu’on regarde, qu’on admire, qu’on envie, — non pas, il est vrai, parce qu’elle a écrit quelques vers harmonieux ou peint en rimes sonores quelques belles nymphes, dryades ou napées, — mais parce qu’elle tient « cette clé d’argent qui ouvre la porte des sens à l’esprit » (définition toute platonicienne de la poésie) — quel rêve ! Le jour où elle a vingt ans, elle court au jardin et, fièrement, se couronne de lierre : « J’aime le lierre : il ne craint pas de gravir — les hauteurs ardues : il est aussi bon pour croître sur des tombes — que pour s’enrouler autour d’un thyrse ; charmant aussi — (et cela ne nuit pas) quand on l’enroule autour d’un peigne ; » et, rieuse, elle en orne ses cheveux blonds.

Qui donc oserait l’appeler romanesque ? Le vilain mot et la sotte chose ! Non, elle a une bien trop haute idée de l’amour pour en faire un jeu de l’imagination. A ses yeux, c’est proprement « le