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médecine ; 5o physique, mathématiques et astronomie ; 6o politique et histoire ; 7o poésie ; 8o romans et voyages.

Outre l’allemand, le flamand et le portugais qui étaient ses langues naturelles, Spinoza possédait aussi l’espagnol, l’italien et l’hébreu, et, pour familières que lui fussent toutes ces langues, il ne cessait de s’y entretenir et de s’y perfectionner. C’est ce qu’attestent les nombreux dictionnaires et livres de grammaire qu’il s’était procurés : Aquinatis dictionarium ebræo-chaldæo-talmudico-rabbinicum, Lutet., 1629 ; Dictionarium rabbinicum ; Sepher Dieduck, grammatica hebraica ; Buxtorfii Thesaurus, grammaticus linguæ hebraicæ ; Munsteri grammatica Ebraica ; Tesoro de la lengua Castellana, 1611, Madrid ; Franciosini Vocabulario Ital, et Spagn. ; El Criticon, vol. 3 ; Raetken Spaens. grammatica ; Dictionarium Lat. Gall.Hispan., 1599, Bruxelles. C’était donc en véritable philologue que Spinoza pratiquait la plupart des langues de l’Europe, et lui-même, nous l’avons rappelé, n’avait-il pas composé un Abrégé de grammaire hébraïque ? Cependant, et de très bonne heure, Spinoza n’avait pas été sans s’apercevoir combien il lui était préjudiciable de ne savoir ni le grec, ni le latin. Ce fut pour les apprendre qu’il se mit sous la discipline de cet étrange aventurier nommé Van den Ende, qui devait périr en France d’une façon si tragique à la suite de la conjuration ridicule tramée par le chevalier de Rohan, et qui partageait avec sa fille Claire-Marie le soin d’instruire ses écoliers. Spinoza en a fait naïvement la confidence : cette jeune personne, par ses talens et les grâces de son esprit encore plus que par sa beauté, avait produit sur son cœur une impression profonde, et il déclarait avoir eu l’intention de l’épouser. Malheureusement, il se vit évincer par un rival plus riche, appelé Kerkerinck, auquel, mais beaucoup plus tard et après qu’il se fût converti de la religion luthérienne au catholicisme, Claire-Marie accorda sa main. Ce fut le seul roman qui traversa l’existence du philosophe. L’enseignement qu’il reçut chez Van den Ende lui avait d’ailleurs été profitable. À la vérité, il ne semble pas qu’il ait jamais eu une bien complète connaissance du grec, et lui-même l’avouait avec modestie. Car au moment d’examiner les livres du Nouveau-Testament par la même méthode qu’il a appliquée à ceux de l’Ancien (et l’exégèse allemande contemporaine n’est qu’une reproduction après tout de cette méthode), il s’en excuse par diverses raisons, et, en particulier, « parce qu’il n’est pas, dit-il, assez versé dans la langue grecque pour oser entreprendre une tâche si difficile[1]. » Quant au latin, au contraire,

  1. Tractatus theologico-politicus, chap. X.