Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orages amassés sur sa tête par le Tractatus theologico-politicus l’avaient intimidé et aussi la rumeur que ses adversaires s’étaient plu à accréditer, insinuant que dans ce nouvel ouvrage Spinoza se proposait de prouver qu’il n’y a pas de Dieu. Depuis lors, d’heureux hasards ont permis de retrouver quelques autres écrits de Spinoza, que le pupitre ne devait pas contenir. C’est ainsi qu’en 1862 M. J. Van Vloten a publié en supplément aux œuvres de Spinoza[1], avec de nouveaux renseignemens bibliographiques et d’intéressans fragmens de sa correspondance, deux traités dont on ne connaissait que les titres et que l’on croyait à jamais perdus, un Traité de l’arc-en-ciel, de Iride, et notamment le court, mais si important Traité de Dieu, de l’homme et de sa béatitude, Tractatus brevis de Deo et homine ejusque beatitudine, esquisse de l’Éthique que Spinoza avait expressément destinée à ses disciples, et qui, presque immédiatement, afin que la diffusion en devînt plus facile, avait été traduite du latin en langue vulgaire. Si on observe, d’un côté, que ce Traité comprend aussi un chapitre de Diabolo, qu’avaient signalé de Murr dans ses Annotationes, et Mylius dans sa Bibliothèque des anonymes, et, d’un autre côté, que l’apologie rédigée en espagnol par Spinoza pour se justifier d’avoir abandonné la Synagogue, Apologia para justificar se de su abdication de la Sinagoga, a vraisemblablement, ainsi que Bayle lui-même le conjecture[2], passé en substance dans le Tractatus theologico-politicus, il s’ensuit que sauf une traduction du Vieux Testament en flamand, que, peu de temps avant sa mort, Spinoza jeta lui-même au leu, on peut se flatter de posséder l’œuvre tout entière du philosophe de La Haye. Il n’est que juste par conséquent de le constater : ce sont ses disciples et ses amis qui, en somme, lui ont élevé ce monument, le plus durable assurément et celui qui pouvait le mieux, en glorifiant son nom, immortaliser sa mémoire. À aucun moment, ils ne songèrent à lui en ériger un autre. Ils avaient recueilli en quelque sorte tout l’esprit de Spinoza : que leur importait et qu’importait à leur maître la destinée d’un corps qu’il regardait lui-même « comme une chose de néant ? »


III

La famille de Spinoza, mais pour de tout autres motifs, ne prit non plus aucun souci d’assurer à ses restes un honorable asile. Elle

  1. Ad Benedicti de Spinoza opera quæ supersunt omnia, Supplementum, Amstelodami, 1862, in-12.
  2. Dictionnaire philosophique, Article Spinoza.