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jadis paru grave en l’étant chaque jour de moins en moins. Timon soutenait, dans sa Légomanie (1844), qu’une loi était superflue : n’avait-on pas l’ordonnance du 18 septembre 1839 ?

Il faut dire, en effet, que le gouvernement, voyant les années s’écouler et la loi ne jamais venir, avait procédé comme en 1831. Il avait accompli sans phrases, par voie de règlement, l’œuvre d’organisation que le législateur, dans son incroyable impuissance, ajournait sans cesse. Aussi bien toute la loi ou presque toute la loi de 1845 se trouve par avance dans cette ordonnance de 1839. Comparez-les ; leurs textes sont presque identiques. Sans doute, l’ordonnance passait à côté des grandes réformes ; mais la loi, six années plus tard, n’a-t-elle pas fait de même ? En tout cas, deux abus étaient corrigés. D’une part, on réduisait le nombre exagéré des auditeurs, que le gouvernement de juillet ne sut guère utiliser, et, d’autre part, on ramenait à des proportions raisonnables le service extraordinaire, que l’on avait laissé croître démesurément. Les ministres en étaient venus à prodiguer dans leurs bureaux les brevets de conseillers et de maîtres des requêtes comme de simples décorations. En 1839, M. Teste, alors garde des sceaux, répondant à M. Renouard, reconnaissait, à la tribune de la chambre, que le nombre des membres du service extraordinaire dépassait 200 ! Cela formait un personnel annexe, parasite et flottant, dont il importait de resserrer et de fixer les cadres. Il y avait bien aussi un autre abus qu’il eût été fort sage de refréner ; mais le législateur n’en eut garde ; je veux parler de ce cumul qui permettait aux conseillers d’État d’être aussi pairs de France ou députés. Sur les trente conseillers du service ordinaire, plus de la moitié (dix-sept) se trouvait dans ce cas, et opérait le miracle de siéger à la fois au Luxembourg, ou au Palais-Bourbon, et au palais du quai d’Orsay qui venait d’être aménagé pour le conseil d’État.

Cette installation dans le bel édifice dont la commune a fait une ruine avait eu lieu, le 14 mai 1840, avec une grande solennité, sous la présidence de M. Vivien, alors garde des sceaux. Désormais le conseil avait son palais, distinct de la demeure du souverain et des bureaux ministériels. Or, jusque-là, depuis 1815, sa résidence avait été incertaine comme sa situation. Il avait été tour à tour l’hôte des Tuileries, de la chancellerie, du Louvre, de l’hôtel Molé[1]. Ses comités siégeaient un peu partout, disséminés dans les locaux des administrations auxquelles ils correspondaient : fidèle image de la condition dépendante où le gouvernement de la restauration les avait placés, les réduisant à n’être

  1. Voir le Conseil d’État, par M. Aucoc, p. 421 et suiv.