Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/800

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parlementaire, il n’est pas un projet de loi sur lequel le gouvernement et les chambres ne le puissent consulter. Seulement on ne le consulte pas. En sorte qu’il languit dans une situation indécise, sans qu’il lui soit donné, comme on eût dit au XVIIe siècle, de « remplir son mérite. » Virtuellement l’ordonnance de 1815 lui reconnaissait la fonction législative. Un comité de législation était formé, qui allait compter parmi ses membres MM. Royer-Collard, Camille Jordan, Portalis. Mais, en fait, les ministres de la restauration ne s’adressèrent que très rarement au conseil pour la préparation des lois. Le code forestier fut rédigé sans lui. Le législateur ne s’apercevait guère de sa présence que pour lui contester le droit d’exister. Chaque année, à l’occasion de la loi de finances, l’institution elle-même était remise en question. Aussi l’intérêt qui s’attache à son histoire durant cette période consiste-t-il bien moins dans les affaires qu’il a traitées que dans les attaques qu’il a subies et dans les controverses auxquelles il a sans cesse donné lieu. Je ne crois pas qu’en aucun temps il ait mené une vie plus précaire.

Il avait contre lui d’abord la réaction violente qui battait en brèche les institutions où l’empereur avait mis sa marque. En vain l’ordonnance de 1815 l’avait-elle renouvelé : il évoquait l’image détestée de l’empire. Et puis il était investi d’une mission particulièrement délicate et ingrate, devant statuer sur les contestations relatives aux biens nationaux. Or, il faut dire à sa louange qu’il sut faire respecter les lois de la révolution et garantir les droits des acquéreurs. Mais cette indépendance attisait les rancunes. Un autre grief était l’abus des conflits, que les ministres élevaient très arbitrairement, en vue de dessaisir les tribunaux au profit de la juridiction administrative. On lui reprochait aussi l’insuffisance des garanties que sa procédure contentieuse offrait aux justiciables : le huis-clos des séances, l’absence d’un ministère public, l’impossibilité pour les parties ou pour leurs avocats de produire à la barre des observations orales, l’inattention ou l’incompétence de l’assemblée générale au sein de laquelle les membres du service extraordinaire, représentans de l’administration, pouvaient créer, à l’occasion, des majorités factices. On s’élevait en outre contre le système néfaste du tableau, que le garde des sceaux, chaque année, dressait à sa guise, libre d’éliminer du service ordinaire tel ou tel membre par voie de prétention, aussi facilement, disait le député Manuel, « qu’on déplace les pièces d’un échiquier[1]. »

  1. Ce régime du tableau, supprimé quelque temps, à la suite de l’ordonnance du 26 août 1824, fut rétabli par l’ordonnance du 5 novembre 1828.