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consulat. Napoléon, à cette époque, n’avait pas revêtu la robe du sacre, et par instans il laissait Bonaparte percer encore et reparaître.

On eut alors de temps à autre le spectacle invraisemblable d’un Napoléon communicatif, enjoué, presque aimable ! Il n’avait pas toujours ce masque de bronze, qui plus tard glaçait les paroles sur les lèvres de ses interlocuteurs. Aussi bien, sous l’empire, et particulièrement dans les dernières années, le ton des discussions n’était-il plus le même. L’empereur se livrait moins. L’étiquette de cour avait creusé autour de sa personne auguste comme un abîme infranchissable, et l’odieuse contrainte, faite de terreur et de servilité, qui rendait les fêtes des Tuileries si mornes, avait fini par pénétrer dans la salle du conseil. Jusqu’au dernier jour cependant, il conserva à la grande assemblée la même faveur inaltérable. Le fait est qu’il aimait son conseil d’État. Il lui avait voué toute la sympathie dont cette âme si dure fut capable. A la différence des souverains qui lui succédèrent, il sentait ce que vaut pour un gouvernement la collaboration incessante d’une réunion d’hommes voués à la science des services publics et à l’étude pratique des lois.

Est-ce à dire que le conseil d’État de ce temps-là, par je ne sais quelle rencontre fortunée, ait offert au monde un concours unique d’administrateurs et de jurisconsultes ? Et devons-nous prendre à la lettre les magnifiques éloges que M. de Cormenin leur a décernés ? Je crois, tout au contraire, que ces conseillers, ces maîtres des requêtes, ces auditeurs, au fond, n’étaient point supérieurs à leurs continuateurs d’hier et d’aujourd’hui. J’en pourrais citer maintes preuves, et d’abord combien de lois, qui sortirent de cette assemblée mal façonnées et imparfaites ! Comme il arrive presque toujours dans les affaires humaines, les rôles furent plus grands que les acteurs. Ce qui leur donne, à ces fameux acteurs, un incomparable prestige, c’est le décor superbe où ils se meuvent ; c’est la merveilleuse toile de fond qui leur sert de cadre ; c’est l’éblouissant rayon de gloire dont ils demeurent illuminés ; c’est enfin qu’il y eut là, pour le conseil d’État moderne, une sorte d’âge héroïque où il apparut sous les traits qu’il a retenus dans la suite, mais avec une prééminence, une puissance, un éclat, que nous ne reverrons sans doute plus.


III

Le conseil impérial ne pouvait rester debout après la chute de l’homme extraordinaire qui l’avait animé de son souffle et initié, comme un confident de toutes les heures, aux secrets de sa