Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 112.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’honneur de cette « création » qui, nous dit-il, « lui appartient en propre[1]. » Malgré le respect que nous devons à une autorité si grande, il m’est impossible, je l’avoue, de me ranger à cette opinion. Je crois avoir montré que le conseil d’État de l’an VIII n’avait pas été proprement une « création. » Qu’a donc fait le très habile architecte de ce temps-là, sinon restaurer le conseil de la monarchie ? Admettons qu’il l’ait non restauré, mais reconstruit ; encore était-ce sur les anciens plans ! La vérité est qu’il a modifié les aménagemens intérieurs ; il a déplacé çà et là quelques cloisons, surtout il a percé les portes par où toutes les parties de l’édifice ont pu communiquer avec une salle commune, centre de réunion, — l’assemblée générale. Mais cette idée de relier les unes aux autres les diverses fractions du conseil n’était-elle pas empruntée au règlement du 7 août 1789 ? Il en est de même de la séparation des affaires contentieuses : n’a-t-on pas vu qu’elle remontait à l’édit de 1777 ? Elle ne fut rétablie qu’en 1806, alors que Sieyès était rentré dans le silence et dans l’inaction depuis six ans. Que dire enfin de l’auditorat, œuvre personnelle de Napoléon ? — Non, le conseil d’État de l’an VIII ne fut point une « création » du célèbre législateur métaphysicien, mais une antique institution des rois, que César refrappa à son effigie.

Car il l’a marquée de son empreinte, et plus profondément qu’il n’a fait aucune autre. Durant quinze années, elle n’a pas cessé d’être l’émanation de sa toute-puissance et comme l’incarnation de sa pensée. Conseillers, maîtres des requêtes, auditeurs, sont les maréchaux, les généraux, les colonels de cette armée administrative dont il entend régler lui-même jusqu’aux moindres mouvemens. C’est par eux, disons davantage, c’est au milieu d’eux qu’il gouverne. Dans les cérémonies, ils apparaissent groupés autour de lui, comme un état-major politique. Il fut un temps, avant le 18 brumaire, où Napoléon affectait de se montrer en public avec l’habit du membre de l’Institut. Premier consul et même empereur, il aurait pu avec plus de raison porter le frac du conseiller d’État.

Époque unique dans l’histoire du conseil ! Ce grand corps est le centre d’où tout part et où tout aboutit. Sa compétence embrasse les questions les plus hautes et les détails les plus humbles, « depuis le code Napoléon jusqu’à l’autorisation de couper quelques arbres sur un point presque imperceptible de la France[2]… » Il fait la loi et, l’ayant faite, il l’interprète par ses avis, la complète par ses règlemens, la met en œuvre par ses innombrables décrets,

  1. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. Ier, p. 105.
  2. Locré, Du Conseil d’État.