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du passé. C’est ainsi que l’on ressuscitait l’ancien collège des avocats autorisés près le conseil sous l’ancien régime, et que l’on empruntait les traits généraux de la nouvelle procédure contentieuse au règlement de 1738, œuvre du chancelier d’Aguesseau. Pareillement, je crois retrouver une réminiscence de la juridiction particulière des « maîtres des requêtes de l’hôtel » dans cette commission de 1806, où le rôle dominant était attribué à l’antique maîtrise, que l’on faisait revivre tout exprès[1].

Remarquez, en effet, que primitivement le conseil d’État de l’an VIII se composait uniquement de conseillers. Puis, six années s’écoulent avant que l’on s’avise de rétablir les maîtres des requêtes ; et qui sait s’ils ne furent pas rétablis un peu aussi pour l’archaïsme pittoresque de leur titre ? Le baron Locré, qui, ayant été le secrétaire-général du conseil de 1800 à 1815, avait vu les choses de fort près, le donne à entendre : « Très probablement, dit-il, le conseil n’aurait jamais eu de maîtres des requêtes, sans la tendance de Napoléon à être empereur à la manière dont ceux qui s’étaient assis avant lui sur le trône étaient rois[2]… » Quoi qu’il en soit, la maîtrise, plus spécialement renfermée dans ses attributions juridictionnelles, n’eut, sous le premier empire, qu’une importance restreinte. A la vérité, plusieurs de ses membres furent appelés à de grands postes, par exemple le baron Pasquier, le futur chancelier de France, qui était maître des requêtes lorsque l’empereur le choisit pour être préfet de police. Mais le personnage caractéristique de cette époque, dans l’administration, c’est le conseiller d’État ; et c’est aussi un autre personnage, celui-là tout nouveau, qui, pour la première fois, entre en scène, je veux parler de l’auditeur.

L’auditorat est une des créations originales de Napoléon.

Ce personnel n’existait pas dans l’ancienne monarchie ; il ne date que de 1803. Attachés en même temps aux sections du conseil et aux ministres correspondans, agens d’information et de communication entre les unes et les autres, les auditeurs furent pour Napoléon des aides-de-camp civils. Ils traversaient l’Europe, bride abattue, apportant les papiers au quartier-général de l’empereur, qui les chargeait parfois d’exécuter ses ordres dans les pays conquis où, sous le titre restauré d’intendans, ces jeunes gens gouvernaient, proconsuls du nouveau César. Leur nombre, d’abord fixé à seize, puis à cent soixante, fut élevé, en 1811, au chiffre exorbitant de trois cent cinquante, qu’il dépassa même : en 1814, ils

  1. Voir les Souvenirs de M. de Barante, t. Ier, p. 146.
  2. Quelques vues sur le Conseil d’État, considéré dans ses rapports avec le système de notre régime constitutionnel, 1831.