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caractère litigieux d’une affaire fût un critérium suffisant pour la différencier des autres et pour la faire juger suivant des règles spéciales. La création, en 1777, d’un a comité du contentieux des finances » marqua le premier pas dans une voie nouvelle. Le second pas fut cette ordonnance du 9 août 1789, qui institua le comité « des départemens, » En réalité, c’était notre contentieux d’aujourd’hui.

D’où vient que cette distinction si rationnelle, cette ventilation des affaires si conforme à la nature des choses ne fut point rétablie en l’an VIII ? Assurément les rédacteurs de l’arrêté du 5 nivôse n’ont point péché par ignorance. Ils connaissaient suffisamment l’ancienne organisation, qui n’était pas, au fait, si ancienne, car dix années à peine s’étaient écoulées depuis que la constituante l’avait abolie, et la tradition en demeurait vivante. Mais on était encore sous l’influence de la législation révolutionnaire, et cette législation avait habitué les esprits à l’arbitraire des administrations statuant sans forme de procès sur les litiges où elles étaient en cause. Là est, à mon sens, l’explication de cette lacune dans le système primitif de l’an VIII. Notons seulement, comme un premier symptôme de la tendance contraire, cette équitable disposition du même règlement de nivôse, qui interdisait aux conseillers d’État chargés de la direction d’un service public le droit de prendre part aux délibérations concernant les affaires contentieuses de leur service. Mais, pour le reste, la confusion subsista dans les six premières années du nouveau régime. Chacune des sections avait son contentieux, dont les dossiers passaient pêle-mêle avec les autres ; et il en était de même aux séances de l’assemblée générale.

Cependant on reconnut l’inconvénient d’une procédure uniforme. On reconnut que cette procédure, convenable à la préparation des décrets et des lois, laissait à désirer pour le règlement des contestations entre les particuliers et l’État. C’était sans doute un bienfait d’avoir soustrait ces différends au pouvoir discrétionnaire des ministres. Les membres du conseil présentaient de bien autres garanties de compétence et d’impartialité que n’en offraient des administrations tout ensemble juges et parties ! Mais, dans cette orageuse époque où nos affaires, comme nos régimens, défilaient au pas de charge, le conseil pouvait-il s’attarder aux lenteurs et aux minuties des instructions judiciaires ? Et ces hommes qui tiraient notre législation du chaos ; qui votaient les articles organiques du concordat et rédigeaient le code civil ; qui avaient l’œil sur l’immense administration de cet empire plus vaste de jour en jour ; — que Napoléon, entre deux campagnes, venait mettre dans la confidence de sa formidable politique, où