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Comment la Belgique, pour sa part, se tirera-t-elle de cette crise, où elle s’est librement, spontanément engagée, en entreprenant la révision de sa constitution ? Peut-être déjà commence-t-on à s’apercevoir à Bruxelles qu’on s’est jeté dans une singulière aventure, qu’on a soulevé un problème dont on n’aura pas raison aussi aisément qu’on l’avait espéré. Sans doute, c’est quelquefois, pour une nation libre, un acte de prévoyance virile de ne pas se laisser arrêter par les difficultés d’une réforme devenue nécessaire, de céder à propos à un mouvement d’opinion. Il est possible que, pour la nation belge, le moment fût venu d’étendre le droit de suffrage, d’ouvrir la vie publique aux classes populaires, de plus en plus pressantes, d’accomplir, en un mot, une large réforme électorale, et comme le droit de vote est réglé par la vieille constitution de 1830, la révision devenait une nécessité. Malheureusement, on s’est plu à compliquer cette question première, la seule qui émût la classe populaire, de toutes sortes d’autres questions, à étendre la révision aux points les plus délicats du droit public, et en étendant le programme, on ne l’a pas simplifié. On est entré dans l’aventure ! maintenant, à vrai dire, c’est la constitution belge tout entière, ou presque tout entière, qu’on est en train de réformer. Les dernières chambres, après avoir discuté longuement, non sans quelque confusion, ont uni par décider qu’il devait y avoir une révision constitutionnelle sur laquelle le pays allait avoir à se prononcer. Des élections se sont faites sur cette question de révision. Le nouveau sénat et la nouvelle chambre des représentans, transformés, pour la circonstance, en assemblée constituante, se sont réunis aussitôt pour se mettre à l’œuvre. Cette session extraordinaire s’est ouverte sans bruit, sans éclat, sans discours royal, il n’y a que quelques jours ; mais, à peine a-t-on été réuni, on n’a pas tardé à s’apercevoir qu’on n’avait rien fait, que le plus difficile restait à faire, qu’on en était tout au plus aux préliminaires, à des préliminaires où, du premier coup, gouvernement et assemblée étaient menacés de se perdre.

Proposer un plan coordonné, précis, complet, quoique limité dans l’état du parlement belge, sans avoir la majorité des deux tiers des voix qu’exige la constitution, c’était pour le gouvernement s’exposer à aller au-devant d’un échec, ajouter peut-être une crise ministérielle à une crise constitutionnelle. Le président du conseil, M. Beernaert, en homme avisé, a vu le péril et s’est défendu de jouer cette dangereuse partie. Livrer d’un autre côté la révision au hasard des propositions de toute sorte qui pouvaient se produire et des discussions décousues, qui allaient se succéder, c’était se jeter dans l’inconnu. M. Beernaert a fait de la tactique ! il a commencé par écarter toute chance de crise ministérielle en refusant d’engager la responsabilité du gouvernement sur un programme déterminé. Il a cru de plus éviter les débats