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nécessité, comment le gouvernement de l’Angleterre va passer des conservateurs aux libéraux. Que lord Salisbury, piqué au jeu, tienne à ne pas rendre les armes sans combat, qu’il veuille attendre la réunion prochaine du nouveau parlement, pour livrer une dernière bataille, pour contraindre M. Gladstone à exposer son programme, sa politique, et essayer d’ébranler la majorité nouvelle, c’est possible ; c’est une manière de tomber avec les honneurs de la guerre. Dans tous les cas, ce n’est pas en Angleterre qu’on dispute longtemps avec les faits, et après les élections qui viennent de déplacer la majorité parlementaire, il n’y a évidemment à l’heure qu’il est d’autre solution qu’un ministère libéral avec M. Gladstone pour chef, avec des lieutenans comme sir William Harcourt, M. John Morley, lord Rosebery, lord Spencer, peut-être aussi avec quelque radical comme M. Labouchère. Le ministère est vraisemblablement tout prêt pour le jour de la démission inévitable de lord Salisbury. C’est alors justement que les vraies difficultés commenceront pour M. Gladstone. C’est là que ses adversaires l’attendent pour lui créer une situation d’où l’on ne pourra peut-être sortir que par une dissolution nouvelle du parlement, par un appel nouveau au pays. Que fera M. Gladstone ? S’il était plus jeune, il ne serait pas impossible que, par une résolution hardie, il se mît à la tête de ce mouvement libéral, même libéral avancé, qui se dessine de plus en plus dans toute l’Angleterre, surtout dans les comtés, qu’il devînt le vrai chef de la démocratie anglaise grandissante. A son âge, il ne peut guère rêver de si longs desseins ; c’est bien assez de suffire aux nécessités du jour, et avec les ressources de son esprit, avec son art de manier les partis, il est homme encore à déjouer les tactiques de ses adversaires, à maintenir sa majorité, à préparer son terrain si une dissolution nouvelle devenait nécessaire. D’ici à la session de février où se renouvelleront les grandes batailles parlementaires, il a le temps de reprendre position aux affaires, de combiner avec le home-rule les réformes qu’il semble méditer pour rallier à sa cause les partis populaires.

Quant à la politique extérieure de l’Angleterre, ce serait sans doute une illusion de croire qu’elle puisse être sensiblement modifiée par les dernières élections. Les traditions, les intérêts permanens de l’Angleterre sont ce qu’ils sont : ils ne changent pas avec un cabinet. La politique du ministère conservateur sera plus ou moins la politique du ministère libéral. Lord Rosebery ne l’aurait pas dit récemment, qu’on pourrait s’en douter. Tout ce qu’on peut croire, c’est que la même politique peut être suivie avec un autre esprit ; c’est qu’un ministère libéral, dirigé par M. Gladstone, peut atténuer les procédés de lord Salisbury, rechercher un peu moins les incidens au Maroc ou ailleurs, affecter un peu moins d’intimité avec les alliances continentales, et, s’il faut tout dire, mettre un peu plus de cordialité ou de bonne volonté dans les rapports de l’Angleterre avec la France.