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s’engagent (1380), en cas de non-paiement dans un délai fixé, à rester enfermés dans une tour de la maison du créancier. On multiplie les précautions : il y a dans le midi des « courtiers en paroles, » — correter d’orella, — qui tiennent registre des ventes et transactions verbales.

Le développement du crédit, au moyen âge, se heurtait aussi à l’embarras des communications. Il était coûteux et périlleux de transporter des espèces à longue distance. Aller chercher quatre mille francs de Paris à Melun n’est pas, au XIVe siècle, une petite affaire. Les souverains, pour leur usage personnel, n’ont pas toujours de fonds à point nommé : le maître de la « chambre aux deniers, » — table royale, — fait dire « aux bonnes gens de Senlis qu’on ne pourrait payer ce jour ; » tandis qu’il envoie « pourchasser argent devers monseigneur d’Anjou, pour la dépense de l’hôtel. »

Les relations de place à place n’étaient ni assez régulières, ni assez étendues, pour que les lettres de change pussent suppléer, par les ricochets multiples qu’elles font de nos jours, au déficit de numéraire qui sévissait tout à coup en certains lieux. Le port même des traites, tirées d’un point sur un autre, exigeait, en l’absence de toute poste organisée, l’envoi d’un messager spécial. On préférait prendre patience, attendre la foire prochaine, qui fournirait à la fois l’occasion de négocier du papier et d’encaisser des lingots.

Le change, dans ces conditions, subissait des oscillations très fortes. A Barcelone, par exemple, dans la première moitié du XVe siècle, le numéraire devenait très rare chaque année du 1er juin au 31 août, à cause des achats de laine en Aragon. Il baissait ensuite, pour remonter beaucoup plus haut en janvier, en raison des achats de safran, et retombait de nouveau jusqu’à l’été. Mais ce qui, dans notre siècle, motiverait des différences de quelques centimes, en provoquait alors de 3 ou 4 francs. Régulièrement, le change de la monnaie d’argent en monnaie d’or comportait une commission, variant de 2 à 12 pour 100, et qui était communément de 6 à 8. Les comptes de la maison royale accusent sans cesse des « pertes d’argent pour change. » A la fin du XVIe siècle, en Dauphiné, on paie encore 660 livres en argent pour en avoir 600 en or. Il est difficile d’admettre que les changeurs, qu’ils fussent propriétaires de leur « office, » ainsi qu’on le voit en Bourgogne, ou seulement locataires à l’année d’un bureau, d’un étal de change, comme dans l’Orléanais, aient pu de leur propre autorité, suivant qu’on les en accuse, « attribuer aux monnaies un cours usuraire. »

Il est probable, au contraire, que ce haut prix du change de l’argent en or tenait à la rareté effective de l’or. Cette rareté, on