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de 3 millions d’écus d’or (75 millions de notre monnaie), couvert en une seule bourse ; Thomas Gresham, agent de l’Angleterre, y emprunta, de 1558 à 1562, une somme correspondant intrinsèquement à 60 millions de francs, équivalant aujourd’hui au triple. Anvers était, il est vrai, à ce moment, la première place du monde ; et son mouvement commercial passait, vers 1550, pour atteindre annuellement un milliard et demi de florins par an, non compris la négociation des « effets de change. »

Or la circulation de l’argent, sous cette forme, était considérable. Que la lettre de change, répandue dans les banques ou casernes d’Italie, dès le XIe siècle, ait été inventée par les juifs, auxquels Montesquieu en fait honneur, et qui par ce moyen éludèrent la spoliation, ou qu’elle leur soit de beaucoup antérieure, comme pour ma part j’incline à le croire, il n’en demeure pas moins évident que la transmission des valeurs d’un lieu à un autre, grâce aux écritures et aux viremens de comptes, était pratiquée très largement dans toute la France, dès le commencement du XIIIe siècle.

Bien que des autorisations nominales soient données par les seigneurs à certains marchands, leurs sujets, pour « faire et adresser des lettres de change en tous pays, » il est vraisemblable que le commerce se passait de la permission des gouvernemen3, quand ceux-ci ne jugeaient pas à propos de la concéder. Ces permissions peut-être n’avaient qu’un caractère fiscal, comme les timbres proportionnels dont nos traites doivent être munies depuis 1872.

Quelques opérations actuelles se sont faites de tout temps, sous d’autres noms ou même sans avoir de nom. Quand le trésorier du duc de Bourgogne invite, par un « mandement, » les Lombards de Seurre à porter au débit de son maître une somme de 1,200 écus d’or, précédemment inscrite au débit du comte d’Auxerre (1344), ce mandement est un véritable chèque. Quand, dans la même province, un chanoine, sur le point de partir pour l’Italie, contracte une obligation de 100 livres au profit d’un grand seigneur, en retour d’une lettre de change en blanc qui lui servira « à emprunter en cour de Rome et ailleurs, » ce chanoine reçoit sous cette forme une sorte de billet de banque ; et le prince, qui délivre ce billet en blanc, émet une vraie monnaie fiduciaire dont la valeur est proportionnée à son crédit personnel ; combinaison fort ingénieuse pour l’époque (1260).


II

La monnaie fiduciaire était aussi en usage dans les villes dotées de banques publiques ; de ces villes ; elle se répandait assez loin.